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The killer inside me

Littérature noire

Evasion : pas d'espoir pour la liberté

A la fin de son précédent roman, Cry Father, Benjamin Withmer écrivait : " nous sommes tous la somme de nos pertes ". Avec Evasion, l'écrivain de Denver creuse un peu plus le sentiment d'aliénation à un lieu de naissance, à une condition sociale, à une addition de malchances et de mauvais choix.
1968. Prenez douze taulards en fuite, des noirs, des blancs, des crétins, des fous, des rêveurs. Ajoutez une cohorte de gardes à leurs trousses, menée par le plus enfoiré des directeurs de prison. Saupoudrez de quelques tonnes d'armes, Winchester 1982, un vieux calibre 38, un Colt M 1911, une carabine 30 30, sans oublier le fameux fusil-mitrailleur Thompson M1A1 ! Mettez-tous cela au Colorado, dans une boule de neige, comme on en vend dans tous les coins à touristes, mais avec vraiment beaucoup de neige... Secouez. Comment voulez-vous ensuite  qu'il n'y ait pas des morts, de la tension, du sang et des drames ?
Evasion est un roman d'une absolue réussite. Le meilleur de Whitmer mais aussi l'un des meilleurs de cette année 2018. C'est d'une tension folle évidemment, les personnages centraux de Jim, Dayton et Mopar sont réellement passionnants, hommes et femme cabossés, avec peu d'espoir dans l'avenir, tous trois dans cette nuit noire du Colorado avec chacun des objectifs bien différents. Parce que oui, Whitmer fait virve une seule nuit dans ces 404 pages, quelques heures de tempête, de traces dans la neige, de maisons ou de cabanes investies. Dans une ville totalement tournée vers sa prison - que les habitants ont choisi quelques années plus tôt à la place d'une université (véridique) - les évadés sont de la mauvaise graine à éliminer. Gelés,affamés, ils trouvent refuge dans des foyers où subsistent toujours un sapin de Noël, vestige de fêtes qu'ils ne connaissent plus, qu'ils ont presque oublié...Symbole d'un monde perdu pour eux.
Evasion c'est une très bonne histoire - qui nous rappelle un peu The Chase (avec Marlon Brando, 1966) - mais c'est aussi un très bon auteur. Si les matons sont des chiens, si le directeur de prison est un petit dictateur, les prisonniers sont présentés comme de vrais abrutis, des tueurs ni plus ni moins. Dans cet univers immaculé, tapissé de neige, tous les personnages sont gris. Y compris donc Mopar, Jim et Dayton. Qui ont juste un supplément d'âme. On retient une horrible scène vers la fin, dans la maison de Molly, lorsque la queue du chat tape contre la porte d'un placard...
Benjamin Whimer a les qualités d'un grand raconteur d'histoires, jonglant avec des moments de pure violence et des instants de réflexion, où chacun s'interroge sur le chemin qui l'a mené jusqu'à cette nuit. Il fait preuve d'un talent spécial pour faire vibrer, ressentir ces pieds gelés, la faim, la haine... Ressentir et sentir d'ailleurs, lui qui s'intéresse aux odeurs, que ce soit de talc, de sueur ou tout simplement de merde. Et puis, Whitmer, enfin, connaît ses classiques. Il a lu Elmore Leonard. Et ses grands principes ; utiliser le verbe dire dans les dialogues. Rien d'autre. Peu d'adjectifs. Encore moins d'adverbes. Et c'est ce qui rend le texte si sec, si dur parfois. Une réflexion sans pitié sur l'enfermement des criminels mais aussi de ceux qui vivent à l'extérieur des murs de la prison.
Un roman impressionnant.

Evasion (trad. Jacques Mailhos), ed. Gallmeister 404 pages, 23, 80 euros
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