Littérature noire
5 Octobre 2018
Les années 46, 47, 48 au Japon sont le point zéro pour les femmes du pays. Dans un archipel machiste, engoncé dans ses codes moyenâgeux, la présence américaine sur le sol nippon prouve aux Japonaises qu'il peut y avoir un autre rapport avec les hommes, de la séduction certes, de la prostitution mais aussi du pouvoir. " Elles avaient fait montre de servilité à leur égard. A partir de là, très vite, elles ont gagné en assurance. "
Le point zéro de Seicho Matsumoto (1909 - 1992) est autant un formidable roman policier qu'un hommage aux femmes de son pays. On est en 1958, à Tokyo, Teiko vient de se marier, grâce à un entremetteur, à Inichi. Quatre jours ensemble et voilà l'époux, responsable en publicités, qui retourne dans a province du nord où il travaille pour solder ses dernières affaires. Sauf qu'il ne revient plus. Teiko part à sa recherche Rencontre le jeune successeur d'Inicihi, lui aussi décidé à éclaircir l'affaire. Ils se rendent chez le couple Murota, enrichi grâce au commerce de la brique. Et toujours aucune trace du mari. Le frère de ce dernier décide lui aussi de faire le déplacement dans le nord. Mais quelques heures après, il est retrouvé mort, empoisonné...
Dans la postface, Takashi Atoda, fervent admirateur de Matsumoto, explique que les premiers auteurs du policier japonais ont biberonné aux textes d'Edgar Allan Poe, Conan Doyle, Maurice Leblanc, des romans " dont le but était de procurer un plaisir intellectuel à travers la résolution d"un énigme. " Et ça se sent dans Le point zéro, roman classique pétri d'intelligence, avec ce fil que Teiko remonte patiemment, sur les traces de son mari disparu, passant d'un interlocuteur à un autre, accumulant les indices, les faits, dans une région emprisonnée dans les neiges de l"hiver.
Mais en 2018, la richesse de ce roman, c'est bien la peinture de cette nouvelle condition féminine japonaise. A sa sortie, nul doute que Le point zéro (vendu à un million d'exemplaires de^puis) a dû faire grincer quelques dents. Car outre le personnage assez héroïque de Teiko, dans son obstination, son sens de la logique et sa modernité (elle boit du café !), il y a toute une réhabilitation des pan pan, ces fameuses dames japonaises qui s'offraient aux soldats américains. Après des siècles de quasi esclavage, les femmes découvraient leur sensualité, leurs atouts, leur place dans la société. Il y a Tanuma, jeune fille insaisissable mais il y a surtout madame Murota, notable et intellectuelle. Deux femmes que l'auteur prend délibérément sous son aile pour en faire des personnages à la fois tragiques et symboliques.
L'amateur de roman policier ne peut pas se priver du plaisir de cette lecture, à l'ancienne oui, mais tellement dans les codes, déjà, du roman noir social, politique. Un sacré voyage.
Le point zéro (trad.Dominique et Franck Sylvain), ed. Atelier Akatombo, 270 pages, 18 euros.