Littérature noire
27 Novembre 2018
D'un style magnifique, riche, mais qui sait se montrer léger Thomas B. Reverdy peint une ville de Londres, une Angleterre, au bord de l'implosion lors des grèves de 1979. Dans ce paysage social de misère, Candice, livreuse à bicyclette, joue Richard dans le Richard III de Shakespeare. L'hiver du mécontentement, c'est la phrase d'introduction de ce duc de Gloucester qui va devenir roi, c'est aussi le slogan des Anglais, des ouvriers anglais notamment, avec les grèves chez Ford, puis dans la fonction publique, facteurs, éboueurs, chez les camionneurs aussi... mouvement qui va s'étendre en 1984 aux mineurs du nord du pays. Entre-temps, les électeurs auront viré les Travaillistes du 10 Downing Street pour installer l'impitoyable Margaret Thatcher.
Toute cette politique est en filigrane de L'hiver du mécontentement. Reverdy dénonce avec une extrême délicatesse l'aveuglement d'une gauche, peuple, syndicats et gouvernement, qui ne s'entend pas, qui s'affronte même et qui va laisser la place à la pire des politiques. Avec le personnage de Candice, il balaie les prismes des petits boulots, des familles moyennes piégées dans leurs réflexes de survie mais aussi le monde artistique. Et l'auteur n'est pas tendre : " c'est toujours un peu décevant de voir que les lettrés sont aussi grégaires que les autres. Qu'ils ont, autant que les autres, peur du pouvoir à ce point. "
Thomas B. Reverdy n'est pas un auteur de polar, il ne rue pas dans les brancards, il ne cloue pas Thatcher mais il laisse transparaître les choses, c'est élégant et c'est justement l'horreur des positions de la Dame de Fer qui contraste si bien avec la délicatesse de Reverdy, son sens du beau mot. Mais c'est aussi Candice qui est une formidable opposante naturelle au monde de Thatcher. Candice, la jeune fille émancipée, travailleuse et avide de culture, de théâtre, de musique. Dans cette Angleterre noyée par la vague punk impulsée par Malcolm McLaren et ses Pistols, il y a un souffle de révolte, un vent de fronde contre ce pays et ses trop vieilles coutumes. Partout, on fait du théâtre, on joue de la musique, on réclame son dû. Cette Angleterre est vivante, revendicative et pauvre : " le centre, disons Soho, Chelsea ou South Ken, le coeur de Londres en 1979 n'est qu'un taudis sale et puant. Les Anglais sont pauvres, c'est un fait."
Reverdy dit parfaitement le pivot qu'a été cette période, pour l'Angleterre, l'Europe et le Monde. Parce que Thatcher ira jusqu'à éblouir des hommes comme Reagan, Bush père ! Pourtant, pourtant, il y avait moyen à mieux faire pour les Anglais, il y avait quelque chose qui se passait. La musique est une parfaite illustration de ce changement, le Royaume Uni basculant du punk le plus revendicatif, salasse, anti bourgeois, issu de la working class, à la pop sucrée, mielleuse, pour minets et minettes. Surtout, l'auteur semble nous avertir, l'air de rien, sur les dangers qui rôdent encore en politique, qu'un chaos mal analysé apporte aussi le pire. L'hiver du mécontentement est une lecture intelligente.
L'hiver du mécontentement, ed. Flammarion, 224 pages, 18 euros.