Littérature noire
20 Novembre 2018
Cork, son port, sa rivière Lee, ses pubs, ses 120 000 habitants. Dont Ryan Cusack. La petite frappe par excellence. Père violent, branleur. Mère napolitaine, décédée trop tôt. Avec ce sang-là, le jeune Cusack, 21 ans, n'allait pas décrocher la Médaille Fields ! Lieutenant d'un poids moyen de la pègre locale, Dan Kane, il monte avec lui un solide réseau d'ecsta de premier choix grâce à sa bonne connaissance de l'idiome de Campanie. Ryan, le gars sur lequel on peut compter. Et son autre associé, Colm, le sait, qui lui ouvre grand les portes d'une nouvelle boîte où, justement, la clientèle pourra paisiblement consommer tous ces bons ecstas et apprécier ses qualités de DJ. Côté coeur aussi, Ryan a plusieurs fers au feu. Il y a Karine, son amour depuis six ans. Sauf que maintenant, elle en a un peu assez des conneries de son cheval fou. Et lui dit de prendre du recul ou de l'oublier. Du recul, il ne peut pas : il est trop impliqué. Et va se retrouver dans les bras de l'explosive Natalie. Que Dan Kane fréquente aussi... La première livraison d'ecstas est braquée à l'arrivée et tout va partir rapidement en sucette.
Polar très psychologique, un brin dépressif, Miracles de sang est l'itinéraire de ce Ryan, enfant qui a dû s'élever seul après la mort de sa mère adorée. Jusque-là tout allait bien, il apprenait même le piano et a développé, ainsi, son oreille musicale ! Personnage complexe, bouleversé, violent et coincé par ses choix, Cusack n'est pas un héros mais un jeune homme décidé à survivre parmi les loups. Il avoue lui-même, " je suis pas un gangster, j'en suis pas capable." C'est aussi un garçon sensible, auprès de ses deux amantes mais peut-être plus encore avec Maureen, femme âgée, qui le recueille quand il a trop de bleus à l'âme. Une relation d'abord douce qui va se pimenter au fil des pages.
Alors est-ce qu'il en arrive trop à Ryan Cusack ? Galères, passages à tabac, menaces... Non, pas vraiment, quand on songe à la vie criminelle qu'il a choisie. C'est vrai que Lisa McInerney prend son temps pour expliquer les tourments qui l'agitent. C'est parfois tortueux, un peu long mais l'intrigue, elle, suit son chemin donc le lecteur se raccroche toujours à ces ecstas disparus, cette discothèque qui doit ouvrir, le patron de la pègre de Cork qui entre en jeu. On se sent un peu comme dans un film de Scorsese avec cette galerie de psychopathes et ce Ryan qui essaye de penser, qui a des éclairs de lucidité, qui sent la catastrophe arriver. Pour un peu on se croirait dans une version des Affranchis, sauce Guinness.
Miracles de sang (trad. Catherine Richard-Mas), ed. Joëlle Losfeld, 348 pages, 21, 50 euros