Littérature noire
21 Décembre 2018
Ardu de romancer un mouvement musical ou un groupe. C'est que les émotions que transportent une musique ne sont pas si simples à écrire, à vraiment saisir. Dans Skinheads, John King n'y arrive pas mieux qu'un autre.
Son roman s'attache donc à explorer à la fois un courant social et un courant musical. Social puisque les premiers skinheads étaient fières de leurs origines prolétaires, descendants des ouvriers de la Révolution industrielle, des soldats de Churchill aussi. Leurs racines sont quelque chose d'incontournable et cela se retrouve dans la musique. Avec le reggae, le ska d'abord puis la Oï. Cela l'auteur londonien l'explique très bien et le connaît d'ailleurs puisqu'il a fréquenté lui aussi les tribunes de Chelsea. Mais pour faire une fiction de tout ça ce n'est pas facile. John King choisi de suivre trois générations de skinheads de Slough. Le père Terry, bientôt quinquagénaire. Le neveu, Ray, trentenaire. Et le fils de Terry, ado.
Et là, le lecteur bien accroché dans le premier tiers du roman, tombe un peu dans les clichés, entre le vieux sage, veuf, qui a professionnellement réussi et aide ses semblables, le neveu, plus bagarreur et le fils, qui va sans doute s'extraire de cette culture. John King essaye de faire tenir son histoire avec la renaissance d'un pub (appelé comme par hasard l'Union Jack), la maladie de Terry, la menace d'un procès pour Ray...
D'accord l'auteur a voulu redorer le blason des skins, trop facilement, surtout en France, accolé à l'extrême-droite. Du coup, là, c'est un peu trop. Le skin devient défenseur de la veuve, de l'orphelin et de deux chevaux ! Alors oui il y a des références musicales, de Symarip à Judge Dread en passant par The last resort, Lars Frederiksen mais ça fait un peu catalogue. Comme tous les pubs du quartier littéralement passés en revue. On a bien sûr droit aux événements de Southall à l'été 1981, quand des Pakis se sont mis à attaquer, sans raison, un pub où se déroulait un concert skin, preuve évidente que la bêtise et le racisme ne s'arrête pas à la couleur de peau. Des bagarres il y en quelques unes, souvent liées au foot d'ailleurs, contre les Spurs d'abord. Et puis West Ham. Les pubs, la musique, le foot, c'est la culture skin, ça, pas de problème. Mais ça ne fait pas une fiction.
D'un autre côté, les réflexions politiques de ce livre paru en 2012 permettent aussi de comprendre l'actuel Brexit : anti européen, obnubilé par la Livre Sterling, le drapeau, le skin finalement passe un peu pour un bourrin, celui qui ne voit pas plus loin que le bout de ses Docs.
Sentiment final très mitigé donc parce qu'il y avait matière à un roman moins caricatural, plus nuancé, le mouvement skin étant bien plus palpitant que ce livre. Un mot aussi pour dire à quel point la traduction est faiblarde, hésitante : d'abord sur le terme oï, un coup au masculin, un coup au féminin, puis hawk qui voudrait dire vautour, la scène d'Orange mécanique "quand ils tabassaient le pochard dans le métro..." Le pochard sûr ? Pas le clochard ? Bref, ce n'est pas un travail très sérieux.
Skinheads (trad. Alain Defossé), ed. Point, 405 pages, 7 euros