Littérature noire
6 Décembre 2018
" En 2012, je revenais de France pour la promotion de mon livre (Pas de saison pour l'enfer, 13e Note édition). Et de retour chez moi je lisais toutes ces affaires de fusillades. C'est là que j'ai commencé à écrire Un soleil sans espoir. En essayant de me souvenir quel policier j'avais été à Oakland en 1983, si moi aussi j'étais comme ceux d'aujourd'hui." Dans une belle interview au Publishers weekly, Kent Anderson raconte donc la genèse du très attendu quatrième roman de l'ancien des Forces Spéciales au Viet Nam. Il ajoute notamment dans cet entretien qu'il "était un travailleur social avec un flingue".
Il y a effectivement de ça dans Un soleil sans espoir. Hanson, le double littéraire de Kent Anderson depuis Sympathy for the devil, fait ses classes d'agent de police à East Oakland. A 38 ans, comme ancien prof de littérature, et malgré son passé de vétéran du VietNam ou ex-flic de Portland, il n'a aucune considération de sa hiérarchie, de ses collègues. Ou alors très peu. C'est que Hanson est plutôt humaniste, respectueux des citoyens qu'il appelle en toutes circonstance Madame ou Monsieur. Mais ce n'est pas un dégonflé pour autant. Tout le contraire : il va volontiers au carton, y compris seul, sans demander de renfort : "il se fiche de vivre ou de mourir. La plupart des gens le lisent dans ses yeux et se ravisent". Ce nouveau roman est, comme Chiens de la nuit une succession de scènes, de moments vécus sans doute : l'arrestation d'une fille complètement camée au volant d'une voiture, la course-poursuite avec un Black Muslim qui l'envoie à l'hôpital, la confrontation avec des Hell's Angels ou un autre gang, des maris violents (ah ce Elvis Hitler !). Chaque fois Hanson s'en sort par son courage ou par sa force de persuasion, entre courtoisie et folie. Et chaque fois, il s'endort en repensant au Viet Nam, ce jour où ils ont failli descendre une poignée de femmes avec leur buffle, tout ses jeunes amis morts loin de chez eux...
Une succession de scènes ne fait pas forcément un roman, même si elles sont très fortes. Kent Anderson glisse donc une intrigue assez simple : il a sauvé Lybia, une belle black plantureuse, il pense à elle. Mais il a aussi sur le dos, Felix Maxwell, impitoyable dealer qui l'a pris en sympathie et veut l'engager. Surtout Hanson noue une délicate amitié avec un ado en vélo, Weegee. C'est là, la relation qui fonctionne le mieux. Il faut avouer que l'amourette passe moins bien et même s'il y a de belles séquences de flingages avec Félix, ce n'est pas le sel de l'histoire et il y a là presque quelque chose de prévisible. On préfère le Hanson qui va acheter un livre sur les oiseaux à Weegee, qui se fait guider par ce gamin dans une sombre allée où une vieille dame vient de clamser...
Un soleil sans espoir dégage un panel d'émotions puissantes, entre les flics sans moyens, ce Hanson qui voit la Mort dans les coins de rue, a des hallucinations de lapin, qui aide deux petits vieux à retrouver leur bagnole, une Amérique noire aux prises avec la violence... c'est un témoignage mais surtout un roman quasi historique. On peut parler des heures sur la fiction, l'imagination mais quand Don Winslow joue les héros "embended" avec des patrouilles de flic, Kent Anderson raconte, lui, ce qu'il a vu, ce qu'il a vécu, les mecs qui lui ont tiré dessus, craché dessus. Il voulait montrer une autre image des flics, prouver que les flics bons existent. Il y est arrivé.
Un soleil sans espoir (trad. Elsa Maggion), ed. Calmann Levy, 391 pages, 21, 50 euros