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The killer inside me

Littérature noire

Dans l'ombre du brasier : le peuple soulevé et broyé

Des incendies, de la fumée, des immeubles qui s'effondrent sous les coups de canons, des pavés montés en barricades, des charrettes de blessés, des batailles de rues, des hommes abattus, la moitié de la tête emportée par le plomb... Dans l'ombre du brasier, le très attendu nouveau roman d'Hervé Le Corre est une formidable fiction historique dans les derniers jours de la Commune de Paris de mai 1871. La fameuse "Semaine sanglante", en référence à l'impitoyable répression des forces versaillaises d'Adolphe Thiers qui n'ont guère fait de prisonniers. Le roman est violent, épique mais aussi romantique, policier.
Tout démarre le 18 mai. Nicolas Bellec, Le Rouge et Adrien sont trois soldats du 105e bataillon fédéré de la Garde Nationale. Trois amis, trois "frères", intrépides défenseurs de l'esprit de la Commune. De la rue Vavin, quai de Passy, place du Roi de Rome, boulevard d'Enfer, le trio multiplie les coups de feu, essayant de colmater l'irrépressible avancée des Versaillais. Pendant ce temps, Caroline, la fiancée de Nicolas, infirmière, est enlevée par Pujols et son cocher. Pujols, criminel à la gueule fracassé, livre des femmes à un photographe vicieux qui immortalise des scènes pornographiques, un trafic odieux auquel le bandit met un terme de manière sanglante. Mais la série d'enlèvements de femmes est arrivée aux oreilles d'Antoine Ronques, ancien imprimeur devenu délégué à la sécurité, sorte de commissaire. Il décide d'enquêter sur ces filles disparues. Pendant ce temps, les armées de Thiers resserrent leur étreinte, font tomber les barricades. Paris est un vaste nuage de fumées noires, de morts abandonnés dans la poussière, de bruits de canons, de fusils déchaînés...
C'est le souffle de l'Histoire qui pousse Dans l'ombre du brasier. Conjugué au souffle d'Hervé Le Corre. Un instant, on pense que la romance entre Caroline et Nicolas va tomber dans la niaiserie, écarter le lecteur du champ de bataille, il n'en est rien, l'auteur reste concentré sur son sujet : le peuple vaincu, les espoirs de Justice lavés dans le sang. Car c'est bien de cela qu'il s'agit et ce n'est pas une surprise avec l'auteur des Derniers retranchements. Sans être dogmatique, ce nouveau roman confirme sa dimension d'auteur social et nous rappelle que les soulèvements populaires sont, finalement, une constante chez les Français. C'est intéressant de comprendre, en 2019, que la Commune était alors suivie par des Parisiens dont 40% étaient ouvriers, un vrai prolétariat au coeur de la cité. Le Corre nous rappelle au passage combien la sociologie des villes a changé. Mais Dans l'ombre du brasier est aussi un formidable roman d'action, dans une ville qui était fortifiée depuis quelques années (par Thiers d'ailleurs), les batailles font rage à chaque coin de rues, depuis les étages des immeubles à moitié effondrés, dans des labyrinthes de charrettes renversées, de portes cochères, de murs éventrés... Sans verser dans l'excès, l'auteur bordelais n'épargne rien, ça saigne, ça gémit, ça pue aussi, on sent la pisse, la merde, la sueur. Des scènes de guerre où le peuple est toujours prêt à aider, à ouvrir une porte, offrir un morceau de fromage aux combattants affamés, un peu de vin, ou simplement du repos. L'auteur d'Après la guerre aime cette fraternité de la lutte, il a cette conscience de classes et sait que dans la nécessité, les hommes se soutiennent. C'est cela le souffle Le Corre, cette humanité, un peu fataliste mais encore enivrée de rêves, ces idéaux que l'on façonne sur un bout de table devant un café brûlant. Pas un truc de bobos mais bien une philosophie de travailleurs.
Alors oui, il s'agit d'un prolongement de L'homme aux lèvres de saphir mais en aucun cas d'une suite. Pujols en est le fil rouge certes. Mais on recroise aussi le docteur Fontaine. Sans qu'aucune référence ne renvoi trop au premier roman. Un prolongement parce que ce dernier se déroulait en 1870 puis filait en quelques lignes sur la Commune. Là, on y est. Du 18 au 28 mai. Sur près de 500 pages. Et Dans l'ombre du brasier se place sans doute dans les deux ou trois meilleurs livres de son auteur.

Dans l'ombre du brasier, ed. Rivages, 492 pages, 22, 50 euros.
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