Littérature noire
15 Janvier 2019
Une voiture fonce au petit matin sur un abri bus de Peterborough. Une jeune fille est tuée sur le coup, sa soeur est blessée. Une troisième personne, un homme, décède quelques heures plus tard. Le chauffard a pris la fuite. Accident ou acte délibéré ? Les trois victimes sont toutes d'origine étrangère, serbe pour les soeurs, polonais pour l'autre. Le commissaire Riggott décide de mettre la section des meurtres racistes sur le coup : l'inspecteur Zigic et le sergent Ferreira. Ils se dirigent d'abord vers une affaire de coeur, une dispute amoureuse qui tourne vinaigre. Mais le petit copain de Jelena, la jeune fille décédée, n'avait aucune raison de vouloir assassiner celle qu'il aimait encore plus que tout. La police se tourne alors vers Sofia, la grande soeur rescapée. Pendant ce temps, dans l'ombre, Richard Shotton, député de l'English Patriot Party, classé à droite de la droite, tente d'en savoir un peu plus sur l'accident mais aussi sur deux meurtres d'immigrés quelques semaines plus tôt. Shotton, c'est le visage policé de l'extrême droite. C'est aussi un animal politique qui a versé des dizaines de milliers d'euros aux militants, plus radicaux de l'English National League. A quelques encâblures d'une élection générale apparemment favorable, il faut éviter toute vague. Sauf qu'un troisième meurtre sur un immigré est commis, un comité de défense musulman a interpellé un des auteurs, et se retrouve battes de base ball à la main face à des enragés de l'ENL. La situation s'envenime et le duo Zigic-Ferreira découvre que le petit ami de Sofia faisait partie d'un groupuscule néo-nazi en Pologne...
Avec encore un sujet à manipuler avec des pincettes, Eva Dolan poursuit brillamment sa série sur une unité d'investigation bien particulière. Le lecteur retrouve, ou découvre, ces deux policiers issus des communautés polonaise et portugaise, aux prises avec des témoins, des suspects, évidemment peu bavards, effrayés ou, à l'inverse, provocateurs, dans une société soumise aux pires tensions. Ce n'est pas le moindre des atouts de ce Haine pour haine de faire ainsi ressentir la violence larvée, qui explose en agressions mais qui se transforme aussi sournoisement en manoeuvres politiques. La violence de la vie de travailleurs immigrés de l'Europe de l'Est qui se retrouvent face à une communauté pakis ou autre, plus intégrée, depuis plus longtemps.
Dans le rythme, comme dans la narration, Eva Dolan fait du classique mais du classique très efficace. Elle se garde surtout de verser dans l'outrance, ses personnages résistant à la caricature, y compris chez le pire des racistes.
Le propos de cette jeune auteure n'est pas facile pourtant on s'y accroche vite, la peinture de Peterborough, ville moyenne au nord de Londres, est criante de vérité, entre désoeuvrement social et vagues migratoires. Il n'y a pas tant de romans qui mettent en scène, avec autant de détails, de réalisme, le racisme quotidien et surtout ce racisme meurtrier qui existe bel et bien, qu'il se nomme antisémitisme ou autres. De même, les difficultés de la police, les difficultés entre services, alimentent une forme de désespoir, de fatalité, malgré le ressort de Zigic ou Ferreira. Et puis, il y a des scènes tendues qui succèdent aux impasses de l'enquête, de quoi donner un superbe équilibre à ce deuxième opus.
Le seul petit hic reste la traduction du titre : Haine pour haine, au lieu de Tell no tales, cela ne fonctionne pas très bien.
Haine pour haine (trad. Lise Garond), ed. Liana Levi, 424 pages, 22 euros.