Littérature noire
17 Janvier 2019
Indélébiles, les traces d'encre sur les doigts de Luz. Indélébiles, les 20 ans de souvenirs au sein de la rédaction de Charlie Hebdo. Rescapé des attentats pour être arrivé en retard, le dessinateur rend un hommage drôle, nostalgique et d'une qualité incroyable, à ses collègues et amis de l'hebdomadaire satirique. Luz a choisi de raconter plusieurs anecdotes, de son arrivée timide au journal, à son reportage inside les jeunes du RPR en 1995, en passant par un dessin sur la bite d'un musicien à la Fête de l'Huma, un reportage en ex-Yougoslavie avec Renaud, une virée dans une cité de Dreux, une irrésistible séquence de dédicaces à Angoulême...
Comme d'habitude, Luz mêle l'intime (son statut de puceau, ses plans dragues foireux, sa peur des coups) au collectif. Et dans les deux cas, c'est fait avec une certaine tendresse, de l'humour et un certain sens du politiquement incorrect. Parce que oui Luz, comme ses compagnons de Charlie, se moque de tout et de tous. Encore une fois certains peuvent grincer des dents, trouver cela inacceptable mais pour d'autres, c'est bien à hurler de rire, c'est provocateur, méchant. Mais ce n'est que du dessin.
On apprend aussi, et surtout, comment fonctionne un journal, dans le bordel organisé. On fume, on boit du blanc, on mange des gâteaux, mais on bosse, on crayonne, on gomme, on demande de l'aide. Ce côté-là est passionnant, riche de dialogues piquants, des vannes de Charb (le coup du fax mérite un César) au rire de Cabu. Cabu justement auquel Luz rend un hommage appuyé, bienveillant, comme un fils à un père serait-on tenté de dire. Cabu l'homme qui arrive à caricaturer Pierre Arditi, l'homme qui parvient à dessiner dans sa poche, jamais avare d'un compliment, d'un bon conseil pour les plus jeunes.
Techniquement aussi Indélébiles est un beau livre. Outre les dessins au feutre-pinceau, technique que Luz domine avec bonheur, Luz offre de belles aquarelles nocturnes. Parce que ce livre, c'est un réveil en pleine nuit, un mauvais rêve qui renvoie le dessinateur à ses bons moments, à ses meilleurs moments peut-être. Il y a une douleur pudique dans tout cela, une peine cachée et dix-sept dernières planches, sur la mort de Johnny, irrésistibles d'humanité et d'intelligence.
Pas seulement pour les lecteurs de Charlie, Indélébiles est un livre sur l'amitié, le dessin, un parcours professionnel. Sans aucune prétention mais avec beaucoup de coeur.
Indélébiles, ed. Futuropolis, 319 pages, 24 euros