Littérature noire
4 Janvier 2019
Dans la grande tradition thompsonienne des pauvres gars trahis, blousés, cocufiés, Tommy Carver tient une bonne place. La cabane du métayer, c'est celle de son père, son père adoptif en fait, un veuf aigri qui a accueilli la jeune Mary pour l'aider dans les tâches quotidiennes. A 19 ans, Tom y cueille le coton depuis des années, dans une parcelle que leur loue Matthew Ontime, un de ces riches indiens d'Oklahoma. Dont la fille, Donna, sort justement avec Tommy quand les cours du lycée sont finis. Ce n'est pas une existence facile pour Tommy mais ces bons résultats scolaires, l'affection de Donna rendent sa vie d'ado des champs plus supportables. L'argent, il pourrait y en avoir si les compagnies de pétrole arrivaient à sous-louer son terrain et ceux alentours, de Matthew Ontime. Mais ce dernier s'y oppose, il a expliqué au fils et surtout au père Carver qu'il y a trop de familles qui vivent sur ses terres. Dans une ultime négociation, Tommy perd son sang froid et s'en prend physiquement au patron indien. Le lendemain, il se fait virer du lycée pour une vague histoire de présumé vol. Tout part en sucette. Le pire : il est accusé deux jours plus tard du meurtre de Matthew Ontime et son père ne lève pas le petit doigt pour l'innocenter.
Ecrit encore une fois à la première personne, La cabane du métayer fait partie des romans du second cercle de Jim Thompson. Pas les meilleurs mais le terreau de ce qu'il écrira de plus explosif. le roman est sorti en 1952, quelques mois après le génial L'assassin qui est en moi, le lecteur peut donc comprendre le petit coup de mou de Big Jim. Pourtant il y a là quelques personnages qui ont tout l'ADN de Thompson : le père, ex alcoolique, tourné vers Dieu, la punition corporelle facile; Mary, la fille manipulatrice, sexuellement coincée entre le fils et le père; Donna, l'Indienne qui témoigne contre Tommy l'assassin présumé de son père...
Dans la bio Coucher avec le diable, Michael McCauley explique que c'est l'éditeur qui a demandé à Thompson une fin plus optimiste. Parce que l'on sent encore une fois que ce Tom Carver, innocent, est près à se venger, à passer pour la première fois à l'acte une fois sorti de prison. Et contre qui ? Son père d'abord. C'est une fois de plus la société, ces corruptions, ces combines, qui rendent l'homme fou, malade, meurtrier.
Parmi ses 24 romans, La cabane du métayer a son importance historique puisque l'auteur y évoque une partie de ses souvenirs d'enfance, la difficile condition de métayer et la misère. Il s'agit du seul roman de Jim Thompson ayant trait aussi directement à l'agriculture, son fonctionnement.
D'abord publié sous le nom Deuil dans le coton (!) par Gallimard (trad. Noël Chasseriau), en 1970, Rivages propose enfin une version fidèle au texte de l'auteur. Encore une fois le petit exercice de la comparaison des traductions n'est pas inintéressant. Il y a d'abord un usage du temps qui n'est pas du tout le même ! Il y a des noms indiens comme Ontime ou Toolate, qui ont un énorme sens, qui sont traduits par Bienvenu et Tardif dans la version de 1970. Bref, c'est encore une renaissance. Merci Rivages.
Version Gallimard, collection Carré Noir (page 1) : "L'après-midi tirait à sa fin et je savais qu'elle devait m'attendre, comme tous les soirs, dans sa bagnole camouflée au plus touffu de la saulaie. C'était une pensée bien réjouissante. Elle s'appelait Donna."
Version Rivages : " Le crépuscule approche, et je sais ce que ça signifie : elle doit m’attendre dans sa voiture, derrière l’épais feuillage des saules, comme elle
m’attend toujours. Notre système est super au point. Elle s’appelle Donna."
Version Gallimard (p.43) : " Il a plu pendant la nuit et le matin, il crachinait encore, mais P'pa avait encore la dernière bouchée de son petit déjeuner quand il partit pour la ville. Il savait que Matthew Bienvenu était trop fier pour porter plainte, à la suite des événements de la veille, et il était pressé d'arriver en ville."
Version Rivages (p.53) : "Il a plu toute la nuit, et le jour se lève sous une brume épaisse. Ça n’empêche pas Pa de filer en ville à la minute où son petit déjeuner a été englouti. Sachant que Matthew Ontime est trop fier pour nous envoyer les flics, il meurt d’envie d’y être."
Version Gallimard (p.97) : "J'sais bien que tu vas me dire que c'était encore qu'une gamine, reprit-il. Qu'à cet âge-là on n'est pas responsable, qu'elle était p't-être là contre sa volonté. Mais c'est pas la vérité, fiston. La vérité c'est qu'elle faisait le truc parce que ça lui plaisait."
Version Rivages (p.122) : "Tu vas peut-être me dire qu’elle était terriblement
jeune. Qu’elle travaillait là-bas contre son gré, ou alors parce qu’elle savait rien faire d’autre. Mais pas du tout, fiston. Elle aimait vraiment ça."
La cabane du métayer (trad. Hubert Tézenas), ed. Rivages, 286 pages, 9 euros.