Littérature noire
13 Février 2019
Tout un livre sur un téléphone ? A priori c'est un tue-l'amour. Pas cette fois. Avec Texto, le Russe Dmitry Glukhovsky, connu pour le succès de Metro 2033 (400 000 ex. en Russie, ça fait rêver non ?) aborde autant l'addiction au portable, que le dédoublement de personnalité, l'usurpation d'identité et la dure vie des concitoyens du tsar Poutine. Donc, on est bien loin de l'ennui imaginé, d'une narration vide de sens ou de mouvements. Glukhovsky a du talent pour rebondir plus d'une fois avec ces quelques centimètres carrés d'écran tactile, trouver un biais et harponner le lecteur.
Ilya, 27 ans, sort tout juste de Solikamsk, fameuse prison russe (Netflix propose en ce moment un incroyable doc sur les prisons russes). Il y a passé sept années, piégé par un flic à qui il avait résisté lors d'une descente dans une discothèque. Quelques pochons de drogue placés dans sa poche et ni une, ni deux, direction la taule, pour celui qui venait tout juste d'être accepté à la fac. Il rentre donc chez sa mère dépité, aigri. Mais à Lobnia, banlieue proche de Moscou, il n'aura même pas le plaisir de revoir sa génitrice : quelques heures après lui avoir annoncé sa libération, elle semble avoir fait un arrêt cardiaque. Comme si cela ne suffisait pas, son ex petite copine attend un enfant et son meilleur ami s'est casé. Bref, il est seul. Avec une bouteille de vodka. Grâce aux réseaux sociaux il a suivi, depuis sa cellule, les aventures du flic qui l'a coincé. Il connaît son nom, lieutenant Petia Khazine, il sait même parfaitement où il se trouve ce soir. Saoul, en colère, l'ex-détenu décide d'aller le voir. Dans une ruelle, il le coince seul, fait croire à un deal de drogue et le plante avec un couteau de cuisine, avant de le jeter au fond d'une bouche d'égout... L'adrénaline passé, l'alcool vidé de ses veines, Ilya réalise et panique. Dans l'affolement, il a gardé le pistolet du flic et son téléphone. Répondre aux messages, dialoguer sur whatsapp, est la meilleure solution pour laisser penser que Petia est encore en vie. Et gagner quelques heures, quelques jours avant la découverte du corps. Mais Ilya va entrer dans l'intimité du macchabée, faire connaissance avec sa charmante copine, avec un père policier autoritaire et aussi avec quelques "amis" ripoux. Il jongle d'un destinataire à un autre, ment, prend position, s'engueule, séduit... C'est un autre piège qui se referme.
Glukhovsky est un sacré malin, qui nous plonge dans cette sorte de psychopathie, celle du pauvre mec, vengeur mais qui veut s'inventer une nouvelle vie. Il faut dire que le quotidien à Moscou n'est pas joyeux, " certains chiaient dans les ascenseurs, d'autres défonçaient les arrêts de bus. Les raisons en étaient limpides. Il n'y avait pas d'autre réponse qu'un individu pouvait apporter au gouvernement et nul autre moyen de se venger de la vie." Des abus de flics, un paysage froid et gris, des pressions de toute part, un métro qui déprime, les familles qui se marient entre elles... Même la fin est parfaitement réussie, c'est dire si Texto est un sacré roman, surprenant, original, bien traduit. Et oui ! Tout ce que l'on met aujourd'hui dans nos téléphones !...
Texto (trad. Denis E. Savine), ed. Atalante, 395 pages, 23 euros.