Littérature noire
26 Février 2019
Il y a cet enfant, Nathan, un élève doué d'une réflexion incroyable pour son âge, capable de s'interroger sur le déroulement de la société. Il y aussi ce vieux monsieur, en maison de retraite, tombé amoureux d'une dame spécialisé dans les produits bio. Et Michael, un prématuré désormais âgé de trois ans, devenu aveugle après une intoxication à l'oxygène... Willnot, c'est une petite ville des Etats-Uni où le docteur Lamar Hale est un référent, une bonne âme à qui l'on vient confier non seulement ses jambes, son coeur, sa tête mais aussi son âme. Willnot, cette ville qui, par arrêté municipal a interdit les églises, cette ville un peu hors du temps comme le dit le compagnon du docteur, Richard ("je suis monté dans le car en 2002 et j'en suis descendu en 1970"), se réveille un matin avec un charnier, des cadavres en décomposition dans une fosse, reposant sur une caisse remplie de papiers devenus illisible. Le mystère est, comme on dit, entier. Et puis voilà Bobby, un ado martyrisé plus jeune, parti faire le soldat et de retour pour on ne sait quelle raison : "le travail j'en ai pas des masses en ce moment. Et des amis je n'en ai jamais eu. Rien d'autre ici que de la rouille et des souvenirs". Des amis, c'est sûr il n'en a pas. La preuve, il va se faire tirer dessus.
Faux roman noir, Willnot est une vraie merveille. Dans son style tellement évaporé mais si profond, questionnant toujours les temps et le monde, James Sallis offre aux lecteurs une plongée dans ses réflexions humanistes, un vrai roman d'auteur qui se lit avec un bonheur rare, ce sentiment que chaque personnage est tiré de votre coin de rue, de votre quartier. L'intrigue est simple et presque inexistante parce que ce qui motive l'intérêt, c'est bien la vie du docteur Hale, son enfance catatonique, la perte de sa soeur, son amour avec Richard, son habitude d'éteindre télé et radio pour ne plus subir l'actualité et puis son chat Dickens. Willnot évoque des choses simples et belles, dans une langue formidable, avec une authentique musique des mots ("les jours s'écoulaient avec lenteur. Des miracles se produisirent à la lisière de nos vies, des destins restèrent endormis dans nos coeurs"). Le tout, heureusement, sans en faire des tonnes. C'est tout le style de James Sallis, cette sorte de nonchalance de la narration, une fausse tension pour mieux observer les humains, s'en rapprocher. Mais aussi critiquer avec un humour noir : " que se passe-t-il dans le coeur du pays ? - Du maïs. La bonne vie des années cinquante. Et de temps en temps une fusillade dans une école ou un carnage croustillant." Un de ces rares romans que l'on a envie de relire aussitôt terminé.
Willnot (trad. Hubert Tézénas), ed. Rivages, 220 pages, 19 euros