15 Mars 2019
Sans nouvelle de Jack O'Connell depuis 2009 et son dernier roman Dans les limbes, Rivages rafraîchit la mémoire de ses lecteurs avec la réédition de BP9, première oeuvre de l'auteur du Massachussets et premier roman installé dans la ville fictive de Quinsigamond, du côté de Boston.
Et on se rend compte que O'Connell, adulé par James Ellroy, possédait déjà en lui tout ce cauchemar, cette ambiance obscure, quasi gothique qui a fait son succès avec Dans les limbes. Jack O'Connell est sans problème un auteur tordu ou plutôt torturé. Voici Lenore, femme flic, la trentaine, possédée par son métier, fan d'armes et surtout de son Magnum 357 modèle 27. Elle carbure aux amphets, partage son appartement avec son jumeau Ike, facteur introverti, et mène une vie sexuelle, disons, complexe. Et voilà que le maire mais aussi le DEA charge la brigade des stups' d'une enquête sur une drogue tout juste apparue : le jargon, un produit chimique qui fait planer très haut mais développe aussi, curieusement, d'étranges facultés linguistiques avant de provoquer une fureur incontrôlable et meurtrière. Deux scientifiques, liés à cette nouvelle drogue, ont été découverts morts chez eux, la langue tranchée. Pour mieux avance dans l'enquête, Lenore se voit octroyée un chercheur en linguistique, l'étrange Fred Woo.
O'Connell prend à rebrousse poil le lecteur traditionnel de polars. Il sait comment faire parce qu'il semble être un fin connaisseur, faisant allusion clairement dans ce roman à Chandler mais aussi au néo-polar français, tout en se permettant une digression sur La tempête de Shakespeare. Les digressions, justement, c'est ce qu'il affectionne. Plus que l'intrigue. On note donc cette scène folle de théâtre bordélique. Mais aussi une scène d'amour sur une dizaine de pages. Une autre scène dans une librairie tirée d'un film fantastique... Et surtout, il y a une présence énorme de cette ville, de son aéroport abandonnée, sa gare abandonnée, les usines vidées, un hôtel art déco transformé en lupanar, dans un quartier de prostitution et trafics. Rien de beau, rien de sexy dans tout ça, une ambiance de décadence, de fin du monde. Une Amérique empoisonnée... L'intrigue avance pas à pas, une fusillade par-ci, une décapitation par-là, mais jamais comme on le pressent, plutôt dans des contre-pieds savamment calculés. Pour tout dire, BP 9 est parfois long, perturbant mais écrit avec une telle maîtrise que cela frôle la leçon. Il y a dans la démarche de Jack O'Connell quelque chose de David Peace, cette volonté de briser tous les codes, de faire du noir différemment. Cette réédition est donc une vraie chance et ne fait que regretter un peu plus l'absence de cet auteur si étrange.
BP 9 (Box nine, trad. Gérard de Chergé), ed. Rivages, 482 pages, 9,90 euros