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The killer inside me

Littérature noire

Oyana : pour qui et quoi peut-on mourir ?

Comment écrire la lutte nationaliste sans tomber dans les raccourcis, le déjà-vu, le militantisme ou même le romantisme béat ? S'agissant du Pays Basque, Marin Ledun y est parvenu (ici), Hervé Le Corre aussi (par là). Et c'est au tour de Eric Plamondon, avec Oyana, de franchir l'obstacle. Oui il s'agit d'un obstacle tant la question est encore vive et douloureuse et les interactions compliquées et meurtrières. On ne parle pas du Pays Basque comme de la Guerre en Algérie. Ou de celle du Viet Nam. Pas possible. Trop de zones grises. L'auteur du très beau Taqawan s'en sort avec panache parce qu'il se met du côté des peuples, sans jamais occulter les errances de la violence, les morts innocentes, les condamnations aveugles. Ce n'est pas une balance, pas un équilibre mais presque un travail de journaliste sensible. Presque parce que Plamondon a cette plume forte, cette narration parfois enfiévrée, moulée dans des phrases courtes et factuelles, entre lettre à la première personne et faits historiques.
Oyana est une jeune fille basque d'une vingtaine d'années, née et grandie à Ciboure, qui découvre avec horreur, presque erreur, la lutte nationaliste dans sa région. Un soir dans un bar de Bayonne, des flics font une descente, trois jeunes hommes s'enfuit à toutes jambes, elle fait de même avec ses amis. Sauf que l'un d'entre eux, se fait cueillir par la maréchaussée et clamse à l'issue de son interpellation. Oyana est révoltée. Mais pas au point de s'engager tête baissée. Elle est juste d'accord pour donner un coup de main, conduire un véhicule... piégé, qui tue une femme et sa petite fille. Bouleversée, écoeurée, trahie, Oyana est exfiltrée par l'ETA vers le Mexique avec ordre de ne plus revenir. Sauf que maintenant, 23 ans après, installée et mariée au Québec, elle vient de lire dans le journal, la dissolution de l'ETA. A-t-elle le droit de revenir ? Pour faire quoi ? Pour retrouver ses racines ? Expier cette double mort ? Réparer ? C'est toute son enfance, sa jeunesse, mais aussi l'amour de cette région, de sa ville, qui lui remonte à la gueule.
Comme dit Leonardo Padura dans son dernier roman, "être et être de quelque part' sont deux choses différentes. Eric Plamondon explique cela sereinement : son héroïne vit avec le Pays Basque au coeur et puisque l'interdit est levé, elle doit y retourner. C'est l'occasion pour l'auteur d'expliquer avec justesse, sans mots de trop, un combat long, ancien, depuis Franco mais aussi une histoire, encore plus ancienne, de marins, de pêcheurs, de chasseurs de baleines. Comme dans Taqawan, l'enracinement est profond et est étroitement liée à la terre, à la mer. Sans faire de cours magistral sur le Pays Basque, il s'agit d'un peuple aux origines préhistoriques, à la langue unique au monde, à la culture gigantesque, autant de valeurs qui n'excusent jamais pour Eric Plamondon les morts, les veuves, les orphelins. Même si on sent bien que vis à vis des proches de Franco, on peut se passer d'écraser une larme...
Oyana parvient en moins de 150 pages à poser les questions, les incertitudes, les paradoxes, d'un engagement total, c'est-à-dire celui de la lutte armée : "j'étais partie à une époque où des jeunes foutaient encore le feu au McDo au nom de l'indépendance. Les choses avaient effectivement bien changé et ces revendications n'étaient plus à la mode. A l'heure des téléphones portables, il n'y avait plus personne pour manifester dans la rue. Il était déçu. Il n'était pas un grand militant mais il aurait aimé assister à la victoire des indépendantistes de son vivant. La violence avait fait tout échouer. "Le roman est fort parce qu'en écho, l'auteur glisse des statistiques, des faits, d'authentiques informations. La lutte basque était et est toujours passionnante dans sa façon de crier haut et fort que ce petit bout d'Espagne et de France veut une indépendance, au moins une reconnaissance, ne pas se sentir écraser par des Etats aux méthodes criminelles (qui ignore encore l'activité des GAL validée par Madrid ?). Oyana n'est pas un roman régionaliste parce qu'il arrive à interroger le lecteur sur la foi en la politique, la possibilité de changer les choses démocratiquement et l'incapacité à ignorer ses racines. Bref, c'est passionnant. Et cette couverture est d'une beauté incroyable.

Oyana, ed. Quidam, 147 pages, 18 euros
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P
Gratitude pour votre lecture précise et au cœur du roman.
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