Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Prémices de la chute : du gang de Roubaix aux grottes de Tora Bora

Comment et quand le Jihad s'est-il exporté jusqu'en France ? Pourquoi cette prétendue Guerre Sainte ne s'est-t-elle pas limitée aux frontières de l'Afghanistan ? Ou du Moyen-Orient ? Les précieux essais de Gilles Kepel, depuis le début des années 2000 au moins, ont donné des clés à ceux qui voulaient comprendre. Frédéric Paulin a décidé d'en faire un roman. Ou plutôt trois. Prémices de la chute est le tome 2 de cette trilogie et peut aisément s'appréhender sans avoir lu son prédécesseur, La guerre est une ruse. Selon le schéma classique des différents points de vue, Paulin va donc suivre Tedj Benlazar, agent de la DGSE, parlant couramment l'arabe et aux contacts précieux, notamment en Algérie et en Bosnie où les braises du conflit sont encore chaudes. Il va notamment entrer en contact avec Reif Arno, un journaliste du Nord de la France un peu en galère mais qui se retrouve avec l'affaire du Gang de Roubaix, peut-être le scoop de sa vie. Alors il va creuser. En personnages secondaires, il y a une agent de la DST, une lieutenant de police de Lille. Mais aussi la fille de Benlazar. Un homme de la CIA. Ceux qui lient ces hommes et ces femmes, c'est la construction sous leurs yeux d'une internationale jihadiste qui ne dit pas encore son nom. La première scène de Prémices de la chute est ainsi phénoménale, illustre le terrorisme qui viendra, avec des policiers pris sous un feu hallucinant dans la petite ville de Croix, Pas-de-Calais. Riva Hocq, jeune femme de la PJ de Lille, va se retrouver face à des armes de guerre, une bande qui écume les Lidl, les supermarchés pour tirer 600 000 francs par-ci, 200 000 francs par là. Avec des kalachnikovs ! C'est inédit pour les flics. Et inquiétant. Surtout que les RG patinent sur ce coup. Qu'est-ce qui se passe ? Et c'est Arno qui a un tuyau, au prix d'une belle rouste : ces gars-là sont des fondamentalistes ! Qui reviennent de Yougoslavie. Les noms de Lionel Dumont et Christophe Caze apparaissent pour la première fois. Dans la banlieue de Sarajevo, Tedj Benlazar a cette confirmation : les anciens de la brigade Moudjahidin, défenseurs de la Bosnie musulmane, rentrent chez eux. Et ils n'ont pas qu'un traité de paix dans leurs valises. Pendant ce temps, les états occidentaux se focalisent sur l'Iran... A Lille, une voiture piégée manque d'exploser devant le commissariat. L'escalade semble sans fin. Jusqu'à l'assaut donné à la planque du gang. Pendant ce temps en Algérie, sept moines français viennent d'être enlevés et ce sont les réseaux Pasqua qui prennent l'affaire en sous-main. Sur place Benlazar a un gros doute sur l'implication directe du GIA. Il soupçonne une barbouzerie de l'armée algérienne. De toute façon l'ambiance devient étouffante dans le pays : son ex-amante, enseignante en primaire à Alger, voit sournoisement l'islam s'inviter avec dureté dans toutes les couches de la société. Reif Arno, lui, poursuit son enquête et se retrouve à Peshawar...
Bien sûr, le rythme de Prémices de la chute est effréné. En reliant tous les points névralgiques du fondamentalisme sur le globe, Paulin réussit à faire vivre presque au quotidien son roman, il y a une respiration du jihadisme, un souffle continu, du Pakistan, aux campagnes algériennes, à Zenica, Roubaix. C'est la première réussite de l'auteur de donner autant de chair à cette histoire tellement éclatée, il parvient à tout connecter, à faire voyager ses personnages sans que cela ne paraisse jamais artificielle. Parce qu'il y a un côté aventure aussi, incarné par cette belle figure de Benlazar mais aussi par ce semi-loser d'Arno. Tout cela est très romanesque, sans doute un peu tiré par les cheveux concernant la rencontre du journaliste et Vanessa, mais cela fait partie du jeu et, finalement, c'est bien géré. Le deuxième point, c'est donc la formidable documentation de Frédéric Paulin, c'est précis, fouillé, sans être envahissant. Et on pense bien sûr au Pukhtu de DOA. Il y a un parallèle. Mais DOA est plus intéressé par la guerre sur le terrain. Et les armes. Là, on est vraiment dans le renseignement, les indics, les rendez-vous nocturnes, les types qui ont les foies, les échanges informations-pognon. C'est passionnant, instructif et rageant aussi, dans ces dernières pages sur la préparation contre le World Trade Center.
C'est typiquement le roman qui semble impossible à écrire et pourtant. Prémices de la chute est une réussite,  de celles qui donnent envie de se plonger dans le premier tome et font trépigner d'attente pour la dernière partie. Au passage, c'est un livre bien utile encore une fois pour comprendre, un tout petit peu, ce monde.

Prémices de la chute, ed. Agullo, 511 pages, 21 euros.
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article