Littérature noire
13 Mars 2019
Septembre 1959, avril 1962. En France. Et en Algérie donc. Les heures sombres du FLN, de l'OAS, du Service d'Action Civique, tout cela mélangé à la figure tutélaire du Général de Gaulle, à la figure bien moins titulaire du préfet Papon, avec ici un zeste de Miterrand et son pseudo attentat de l'Observatoire, le jeune député Le Pen, Alain Delon (chapeau pour le pseudo Lionel Adan) et puis, et puis, un soupçon de French... ouf, c'est beaucoup. Mais ça tient dans Requiem pour une République, le premier roman du journaliste Thomas Cantaloube.
Pour raconter ces mois de folie, cet épicentre de l'histoire moderne de la France, Cantaloube travaille au corps trois personnages. Sirius Volkstrom, ancien collaborateur de la France pétainiste, soldat qui a laissé un bras en Indochine et désormais mercenaire des basses oeuvres de l'adjoint au préfet de Paris. Une crapule intelligente, une anguille dans ce marigot. Luc Blanchard, un bleu de la PJ, idéaliste et même romantique. Antoine Carrega, le Corse (il en faut bien un et c'est vrai qu'à cette époque, on les voyait partout) qui convoi de la came de Marseille à Paris, homme de principes et amant d'une ex-prostituée. Voilà les cartes posées. Le premier, Volkstrom, dans un guet apens, doit flinguer à Paris l'assassin d'un avocat du FLN, assassinat commandité par les plus hautes instances du pays. Mais ça ne se passe pas aussi bien : toute la famille, mère, enfants, oncle, est massacrée et l'assassin a pris la fuite ! Blanchard enquête sur le quintuple homicide. Et Carrega est chargé par le père de la mère abattue, un ancien Résistant, riche homme d'affaires, de trouver le coupable. De remonter jusqu'aux plus hauts responsables. Le trio va se croiser dans Paris au gré de l'Histoire en mouvements : premiers essais nucléaires dans le désert algérien, attentat du train de Vitry-le-François, répression sanglante de la manif des Algériens sur les bords de Seine... Ils vont se croiser, échanger des verres de pinard mais surtout des crochets dans le foie, des coups de pied dans les côtes. Chacun à la recherche d'un bout de vérité.
Thomas Canteloube a les qualités d'un grand conteur. Il sait parfaitement rebondir d'un personnage à l'autre, pour, sans cesse, faire avancer son histoire. Il y a un rythme incroyable et surtout une connaissance maîtrisée de cette France et de ses grands hommes. L'auteur aime les arcanes de cette République, les fers de lance comme les secondes mains, cette France de l'ORTF qui jouait allègrement avec les principes moraux et la loi tout simplement. Le roman devient vite passionnant, mêlant autant l'histoire intime du trio que la grande Histoire. C'est classique certes mais c'est très efficace. Peut-être que Thomas Canteloube manque un petit peu d'une voix, d'un style plus affirmé mais c'est un premier roman. On relève aussi deux ou trois fois des expressions sur les murs qui suintent, que ce soit au fort de... Noisy (?) ou à la prison de la Santé. Et puis, pour être pinailleur, pas sûr que l'on aperçoive à cette époque, depuis une terrasse du Vieux-Port de Marseille, les ferrys qui faisaient la traversée Corse-continent...
Mais pas de quoi gâcher le plaisir d'un roman noir abouti, trépidant, qui remue un peu toute cette fange gaulliste. Et on se dit qu'aujourd'hui Macron et Benalla, c'est un peu les Castor Juniors à la plage !
Requiem pour une République, ed. La Série Noire, 536 pages, 21 euros.