Littérature noire
8 Avril 2019
Le commissaire Soneri est-il un indécrottable nostalgique ? De ceux qui ruminent, "c'était mieux avant" ! Oui. Mais il a quelques raisons. Lui, l'habitant de Parme, amoureux de sa ville natale, dont il connaît chaque coin de plazza, chaque stretta, via, voit la cité changer littéralement sous ses yeux. Comme dans La pension de la Via Saffi, avec Les mains vides (quatrième enquête sortie en France mais sixième dans la chronologie originale) le commissaire est à la "maison", dans son hôtel de police, sa fameuse questure, pour résoudre le meurtre d'un Calabrais, marchand de vêtements, un peu fauché mais au rythme de vie dispendieux. Le Francesco Galluzzo en question a été battu à mort mais le mobile demeure trouble. Des dettes ? Un amant, pour ce dragueur dont la sexualité ne semblait pas faire l'honneur de son clan, là-bas, dans le sud ? De la drogue ? Et pourquoi Gondo, le fameux musicien de rue, s'est-il fait voler son accordéon ? Qui à Parme peut s'en prendre à un mendiant qui joue de la musique ici depuis des années ?
Soneri va alors dessiner un tableau de sa ville qu'il soupçonnait sans doute mais dont il ne mesurait pas la laideur : des usuriers sans foi ni loi, eux-mêmes dépassés par une mafia albanaise prête à tout, des projets immobiliers qui défigurent petit à petit la ville et qui surtout mettent à la rue des centaines d'ouvriers issus d'usines historiques... sous le regard d'habitants désabusés.
Le titre Les mains vides (A mani vuote, sortie en 2006) fait sans nul doute référence à l'opération anti-mafia Mani pulite (Mains propres). Et la pieuvre de la couverture est un autre clin d'oeil à l'emprise du monde criminel sur l'Italie. En fait, Valerio Varesi pleure la chute des valeurs démocratiques, pas de son pays, sans doute n'a-t-il nulle illusion, mais de sa ville qui, il le rappelle, avait courageusement repoussé les milices de Mussolini en 1922... "les derniers bars fermaient et Parme s'apprêtait à dormir quelques heures avant le lever du soleil. Au loin, des sirènes hurlaient tandis que Soneri profitait enfin d'un peu de quiétude, tapi dans le ventre des venelles et la lueur voilée des lampes de chevet. Il savait qu'il vivait les derniers moments d'une ville en voie d'extinction, où lui et tant d'autres avaient vécu pendant des années en s'appropriant les rues et les cafés. Aujourd'hui le décor était le même mais de nouveaux acteurs avaient pris la relève." Ce fameux et terrible sentiment d'expropriation, de changement, non pas pour le meilleur mais bien le pire, le plus cher, le moins humain, le plus cynique...
Magnifiquement urbain après les rurales Ombres de Montelupo, Les Mains vides permet de retrouver bien sûr Angela, avocate amoureuse et piquante, mais aussi cette belle adresse gourmande d'Alceste. Fidèle à son compagnonnage avec Simenon, Valerio Varesi livre un superbe roman, de nostalgie oui, mais aussi de colère et de revendications. Un polar incroyablement politique et moderne.
Les mains vides ( A Mani vuote, trad. Florence Rigollet), ed. Agullo, 259 pages, 21 euros