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The killer inside me

Littérature noire

Stoneburner : hommage de William Gay à Ross McDonald

Ecrivain culte du southern gothic, William Gay a laissé, à sa mort, en 2012, un paquet de manuscrits que ses amis s'efforcent depuis, de retranscrire et de publier. En attendant The lost country sorti ces jours-ci aux States, voici donc Stoneburner, que l'auteur considérait comme son "film noir", sa pierre au hard boiled américain et aussi un hommage à l'un des ses auteurs fétiches, Ross McDonald.
Stoneburner est un drôle de roman. Avec un étrange trio. On est en 1974, à Jackson, Tennessee. Thibodeaux boit des bières, parfois du whiskey. Et roule au volant de son pick-up. Dans cette petite ville, Cathy Meecham ne passe pas inaperçu, une fille comme on en voit rarement. Un soir, Thibodeaux intercepte un deal de drogue sur une ancienne piste d'aérodrome. Il vole la sacoche contenant 185 000 dollars et va chercher Cathy pour l'emmener à Hollywood. Début d'un road trip fait d'hôtels de luxe, de shopping délirant, d'alcools, de pute pour une partie à trois, jusqu'à la galère lorsque la Cadillac finit perchée dans un pin ! Puis entre en scène Stoneburner, frère d'armes de Thibodeaux, au VietNam maintenant détective privé, chargé par Cap Holder, de mettre la main à la fois sur l'argent et sur Cathy...
Ecrire que Stoneburner est un roman bien allumé est un peu en-dessous de la réalité. William Gay prend ses aises dans la narration, au point que l'on se demande comment le traducteur (Jean-Paul Gratias) a pu s'y retrouver dans ses aller-retours entre personnages, ses drôles de fractures de temps, avec une Cathy qui semble parfois à deux endroits différents. Mais c'est aussi le grand principe de la femme fatale ("Cathy est une garce. C'est même la garce incarnée"), de jouer sur plusieurs tableaux, donc d'accord. Et puis la première partie du roman est hallucinante, une sorte de Sailor et Lula, sans la passion amoureuse mais avec le côté destroy et définitif. Stoneburner est d'ailleurs un vrai roman américain sur les bagnoles américaines, Falcon bleue, Cadillac Eldorado noire, Mustang rouge,  Buick 69 jaune, sans oublier le pick up de Cap, vert, avec des cornes de vaches sur le capot ! Des bagnoles comme on en trouve donc chez McDonald, particulièrement dans le fameux Sourire d'ivoire. Mais l'hommage ne s'arrête pas là, puisque, évoquant ses souvenirs du VietNam (guerre à laquelle Gay a pris sa part), n'écrit-il pas : " Thibodeaux ne faisait rien d'autre que leur bourrer le mou, traîner dans la caserne à lire des polars de Ross McDonald".
Enfin, peut-être surtout, Stoneburner, à travers ses voitures, est un roman sur le mouvement en Amérique, sur une population toujours en déplacement. C'est écrit clairement ici, le mouvement c'est la vie, le mouvement c'est l'aventure. C'est aussi l'histoire de ce pays et de ses nombreuses "frontières". Thibodeaux veut aller à l'Est, vers New-Yok, Cathy en Californie. Ils veulent y vivre un rêve et c'est en Cadillac que cela pourra, a priori, se faire. Reste aussi quelques scène vraiment folles, comme celle du homard dans le taxi ! Ou lorsque Thibodeaux roule de nuit et s'aperçoit que le capot de la voiture est remonté devant le pare-brise.
Même si la deuxième partie est moins rocambolesque, cela reste du très grand William Gay, une littérature rare, entre Faulkner et Harry Crews. Ou le Mc Carthy de No country for old men pour la folie des personnages.
L'édition américaine proposait une intéressante biographie écrite par un de ses amis, dommage de ne pas la retrouver ici. Pas de quoi gâcher l'ensemble heureusement.

Stoneburner (tra. Jean-Paul Gratias), ed. La Noire, 379 pages, 21, 50 euros.
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