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The killer inside me

Littérature noire

Malamorte : Bastia sous la pluie et le sang

La Corse est une terre de sang, de malheurs, de pauvretés. Comme de nombreuses îles méditerranéennes, elle traîne une façade de carte postale cruelle qui ne fait pas oublier à ses habitants son quotidien de promiscuité et de violences. Jérôme Ferrari, Marcu Biancarelli excellent dans cette littérature du réel et Thierry de Peretti y fait des étincelles pour le 7e art. Antoine Albertini leur emboîte le pas assez naturellement avec Malamorte.
L'inspecteur du bureau des homicides simples, au commissariat de Bastia, est appelé pour une tuerie familiale suivi du presque suicide du paternel, un Marocain plutôt côté dans le milieu du BTP. Entre deux bières, le souvenir d'une compagne disparue et un tour dans sa Saxo moisie l'inspecteur va gratter sur ce monsieur Cherkaoui. Et notamment découvrir qu'il a un lien assez fort avec une de ses anciennes petites amies, Sonia Mattei, ex junkie, fille à papa mort et reconvertie, elle aussi, dans le BTP qui marche. A peine le temps de mettre ses méninges en route sur ce dossier, que l'inspecteur est appelé sur le cadavre d'une femme, découvert au détour d'un sentier de randonnée très fréquenté. En plein mois de novembre pluvieux et froid, peu de témoins, juste une description d'un homme type légionnaire qui aurait été vu dans le coin. Le seul fonctionnaire du bureau des homicides simples va mettre à profit son réseau d'obligés, ses amis. Mais ce ne sera pas sans casse.
Albertini utilise tous les codes du polar anglo-saxon qu'il connaît si bien : le flic désabusé, la femme fatale, les savants rebondissements, la géographie. Et c'est fait avec un certain talent notamment pour son personnage principal. Outre la bonne idée de ne pas le nommer, il arrive à le saisir avec un brin d'humour, sans en faire trop, lui donnant les accessoires indispensables, de la bière Colomba, à la Saxo et surtout un art de la répartie. Deuxième réussite du roman, Bastia. Sous la pluie, les bourrasques, les papiers qui volent, l'humidité qui s'insère jusque dans les slips. L'auteur en a marre de ces lobotomisations collectives sur le thème "ma Corse plus belle", "isula bella"... à grands renforts de couchers de soleil dégoulinants, de plages immaculées (ça n'existe pas... ou plus), de stands de charcuteries. La Corse c'est 20% de chômeurs, un berceau d'organisations criminelles, des clans qui se sont fait élire de grand-père en petit-fils et une jeunesse qui regarde Les Marseillais à Cancun !

Enfin, l'intrigue est vraiment bonne, elle coule naturellement, avec ses chausse trappes, ses coups de feu, ses embrouilles. On craignait de retrouver les obsessions d'Antoine Albertini pour l'armée, les compagnies du 2e REP de Calvi mais il se retient. De même, il se fait sobre sur les armes, évite de nous faire par exemple une tirade sur les Glock 17, 19, 26... Pire, on n'a même pas droit à un clin d'oeil à Springsteen. Mais tout cela fait que ça fonctionne, avec qui plus est, un style, un vocabulaire populaire qui sonne plus direct, plus sincère.
Il y a peut-être deux petits écueils. D'abord cette présentation un peu longuette du passé de son poulet, avec les flics parisiens suite à l'assassinat du préfet. Comme l'impression de couper trop vite l'élan des premières pages très immersives. Et puis la sortie de l'hôpital de Cherkaoui. On grince un peu. Mais ce n'est pas rédhibitoire.
A la 359e et dernière page, le lecteur se dit que la tradition a du bon, ce polar arrive à être crédible et surprenant. Deux qualités que l'on ne retrouve hélas pas tout les jours. En revanche on a du mal à comprendre le bandeau de Grégoire Leménager, journaliste de L'Obs, intervenant invité des belles rencontres Libri Mondi, à Bastia : "c'est James Ellroy sur l'île de beauté" ! Un peu too much non ?  Le Dog, idole assumée d'Albertini, écrit, un exemple parmi 60 000 pages de son oeuvre , "Propret fit le signe de croix, version pachuco, la main droite se caressant les couilles " (Le grand nulle part) ! Le Dog va également parler des grands complots politiques. Ce n'est ni l'un ni l'autre dans Malamorte. Tant mieux au demeurant. Antoine Albertini, s'il fallait chercher une filiation - encore que ce ne soit pas obligé ces trucs à la "du Tarentino !... les Frères Coen !" - on la trouverait peut-être chez Ken Bruen. La pluie sans doute. La bière aussi. Galway-Bastia, pourquoi pas ?
Reste que dans la production conséquente de littérature noire, Antoine Albertini parvient à se faire remarquer avec ce premier roman et réussit à parler de sa Corse avec amour, lucidité et sans doute un peu de tristesse.

(Ami, confrère et ex-collègue de travail, Antoine Albertini et son livre ont subi le même traitement que d'autres romans de ce blog. A une différence notable : s'il n'avait pas été jugé bon, il ne serait pas apparu ici. On tient quand même à continuer de boire des coups ensemble. Par conséquence, on espère maintenant que l'auteur va mettre enfin, la sienne...)

Malamorte, ed. JC Lattès, 359 pages, 19, 90 euros
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