Littérature noire
2 Mai 2019
Les codes du Japon. Tout ce qui fait sa rigueur. Pour ne pas dire sa rigidité. Rigidité ans les rapports sociaux, familiaux. Et bien entendu professionnels. Rouge est la nuit embrasse tout cela par le biais de Reiko Himekawa, jeune lieutenant de la police criminelle de Tokyo. Douée, intuitive, elle est à la tête d'une brigade de quatre hommes, tous respectueux de son statut et de sa force de travail. Mais il n'en est pas ainsi avec tout le monde. Si Ioka, le policier de terrain qui lui a été affecté est un peu lourd dans ses plans drague, Katsumata, lieutenant d'une autre sous division, est plus direct dans sa provocation, son antiphathie pour ne pas dire sa misogynie. C'est que l'équipe d'Himekawa a un meurtre compliqué à résoudre. Le corps d'un type, enroulé dans une bâche, lacéré de toute part. Une victime sans histoire, sans passé criminel. Il faut de l'observation, un vrai sens de la déduction à Reiko pour comprendre que le corps, abandonné près d'un lac aurait dû être immergé et caché aux yeux de tous. De fil en aiguille, au bout de longues heures de témoignages, l'équipe d'enquêteurs va arriver à l'organisation d'une étrange cérémonie morbide et la découverte de nouveaux macchabées. Reiko, elle, doit composer avec sa mère malade et avec une vieille douleur intime.
Classique dans sa forme, Rouge est la nuit séduit par son ambiance malsaine, dérangeante par instant lorsqu'il s'agit d'ouvrir les bâches des cadavres... C'est aussi encore une fois, un Japon empêtré dans les règles de conduite, les protocoles (ces scènes avec les supérieurs de la police !) mais aussi une société machiste, dure avec les femmes. Reiko a souffert, s'est retrouvée seule et se voit culpabiliser, à raison finalement, par sa sœur après l'accident cardiaque de leur mère. Société moderne certes mais tellement moyenâgeuse, pétrifiée dans ces étranges rapports à l'autre. Le lecteur de littérature occidentale a toujours du mal à croire que des policiers dorment directement au commissariat, que des enquêteurs se déplacent en train ou que certains ne portent pas d'armes faute de moyens financiers. Ce décalage fonctionne plus que jamais y compris dans le style de Tetsuya Honda, l'auteur, à la fois très froid dans les détails des blessures mortelles et gardant tout autant sa distance avec les sentiments de Reiko. Si la jeune policière passe par tous les tourments, Honda évite de donner dans le pathos, accablant presque son héroïne de mille maux. Cela reste malgré tout, un sacré portrait de femme puisque la policière trouve dans son histoire personnelle la force de continuer à se battre dans ce monde d'hommes : " elle réagissait avec sévérité au harcèlement sexuel. Dans le train, elle avait cassé en tout dix sept doigts et deux bras de tripoteurs. Au travail, son bilan était plus modeste avec six doigts amochés mais aucun bras cassé : en revanche elle avait balancé son genou dans trois entrecuisses."
Succès au Japon, Rouge est la nuit s'inscrit comme une série. Autant dire que l'on attend la suite de pied ferme.
Rouge est la nuit (Strawberry night, trad. Dominique et Franck Sylvain), ed. Atelier akatombo, 343 pages, 18 euros.