Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Sombre avec moi : ce beau retour de Brookmyre

Dix ans que l'on était sans nouvelle de l'Ecossais Christopher Brookmyre. Depuis Les canards en plastique attaquent. Enfin, sans nouvelle ! Lui, écrivait. C'est juste qu'en France, son dernier éditeur, Denoël (après La Série Noire et Aube noire) semblait avoir lâché le morceau. Au grand désespoir des amateurs de cet auteur aux intrigues psychologiques, sociales, très ancrées dans Glasgow, dont Le petit bréviaire du marqueur a marqué de nombreux lecteurs. Donc, grâce soit rendue aux éditions Métailié qui prennent aujourd'hui le relais à travers ce Sombre avec moi. Avec l'incontournable journaliste perdu et perdant, Jack Parlabane.
A Inverness, le docteur Diane Jager se retrouve au tribunal, accusée d'avoir tué son mari. Problème : dans la rivière où a fini sa voiture, on n'a pas retrouvé le corps du malheureux. Chirurgien émérite, renvoyée d'un prestigieux service suite à son blog dénonçant le machisme dans le milieu médical, le docteur Jager a tout sacrifié pour son métier y compris ses sentiments. Jusqu'à sa rencontre avec Peter, son futur mari. Elle se remémore leur rencontre. De leur côté, les enquêteurs Ali Kazmi et Ruben Rodriguez ont été les premiers sur les lieux de l'accident qui a coûté la vie au mari, doutant assez rapidement de l'innocence du docteur Jager. Enfin, Jack Parlabane est chargée par la soeur du défunt de tirer au clair ce qui apparaît au départ comme une simple et mortelle sortie de route. Scoop en vue. Et il en a bien besoin.
Brookmyre entre avec délice dans la psyché du docteur Diane Jager, enfant frustré par un père qui préférait ouvertement ses deux frères. Se blindant petit à petit, elle est devenue une femme forte, de caractère, au professionnalisme salué. L'auteur s'insinue dans le quotidien du nouveau couple, dans ses nuits chaudes, son éloignement rapide, couple un peu improbable, lui, le geek, elle la femme de tête. Cela a l'air de fonctionner. Un temps.
Evidemment, Brookmyre manipule son lecteur mais il le fait avec une grande virtuosité, ne lui donnant jamais le loisir de trancher sur le plus important : Diane Jager a-t-elle tué son mari ? Et comment ? Rien ne vient appuyer la thèse du procureur. Rien ne vient l'infirmer. C'est extrêmement malin, sans donner dans la surenchère ou le grotesque, on prend son temps pour amener chaque pierre l'une après l'autre dans un crescendo bien sûr tragique. La fin est donc inattendue, c'est la règle, mais elle est également violente, tendue.
Sombre avec moi n'est pas qu'un roman noir, c'est une vision des femmes en Ecosse, une vision de la femme en médecine, milieu machiste, misogyne, où la réussite ne s'apprécie qu'avec une barbe et du poil aux jambes. Une femme performante dans son métier est-elle plus suspecte qu'un homme ? La femme doit-elle toujours être un modèle de douceur et de bienveillance ? A-t-elle le droit d'être dure, un peu impitoyable, guerrière ?
C'est un très grand retour que signe Christopher Brookmyre, dans un style bien à lui, teinté d'un brin d'humour ("il paraît qu'à Glasgow, quand tu dis que tu es athée, on te demande si tu es athée catholique ou athée protestant"), de malaises aussi, avec ce petit quelque chose de la langue qui sonne tellement scottish.
Mais maintenant, le plaisir à peine savouré, les lecteurs se demandent si les précédents romans de l'auteur, passés inaperçus de ce côté de La Manche, ont une chance d'être traduits...

Sombre avec moi (Black widow, trad. Céline Schwaller), ed. Métailié, 495 pages, 22 euros.
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article