31 Mai 2019
Peut-on avouer en Amérique que l'on a voté Trump ? Peut-on faire une blague sur les homosexuels ? Ou ne serait-ce que donner son avis sur l'oeuvre d'une femme ? D'un noir ? Réflexion plus qu'essai, White de Bret Easton Ellis interpelle ses concitoyens sur le principe même de liberté, sur la dangereuse pente que prend une gauche moralisatrice, castratrice..
D'abord un peu foutraque, White est aussi égocentrique que son auteur, racontant par le menu son aventure littéraire, la conception des Lois de l'attraction, de Moins que zéro, des romans devenus cultes dès la sortie et pourtant assez longs à accoucher, avec, d'abord, peu d'espoir de succès commerciaux. On sait ce qu'il adviendra.
Easton Ellis parle évidemment d'argent, notamment quand on lui demande d'écrire un article pour Vanity Fair sur l'acteur Judd Nelson. Le livre tourne ainsi autour de l'auteur, de ses livres. Enfin pas tous. Il ne parle quasiment pas de Lunar Park, de Glamorama. Mais revient énormément sur American Psycho, son adaptation au cinéma, son adaptation aussi en comédie musicale, son personnage icônique de Patrick Bateman, pourquoi il appartenait tellement à cette époque du début des années 90, un temps qu'Easton Ellis appelle avec justesse l'Empire, une époque où l'on jugeait plus l'art que l'artiste. Une certaine vision du monde qui a volé en éclats. Pas forcément avec les attentats du 11 septembre. Ce n'est pas son sentiment. C'est plus une accumulation d'interdits, de censures, de règles morales. L'auteur découvre cela au fur et à mesure de ses tweets, notamment un qui clame que Kathryn Bigelow, en décembre 2012, n'aurait peut-être jamais eu son Oscar si elle avait été un homme, "elle est complètement sur estimée". Lui, grand amateur de cinéma, fin connaisseur, aux mille projets dans le 7e art, juge que sa réalisation n'a pas la finesse féminine, que ses films pourraient très bien être des films faits par des hommes. Et bim ! Son tweet est jugé misogyne, insultant, à rebrousse poil du politiquement correct en vogue. Bret Easton Ellis va alors se rendre compte de cette espèce de fatwa qui va régner sur toute pensée divergente : pas d'écart autorisé, aucun pas de côté. Dans sa Californie démocrate, certains se cachent même de voter Trump. Trump que lui se refuse à jeter aux orties. Parce qu'il estime, avec raison, que le milliardaire a été naturellement élu, que ses électeurs ne méritent pas plus que d'autres la vindicte d'un monde culturel, passablement hypocrite. Il dézingue au passage Meryl Streep et "son discours anti-Trump outragé aux Golden Globes, pendant la même semaine où elle avait mis en vente sa maison e Greenwich Village pour trente millions de dollars".
Livre parfois complexe à suivre, dans lequel il assume et revendique presque sa condition de Blanc privilégié, White est également une étude sur le changement de société brutale des 20 dernières années. Ce n'est pas hyper original mais il compare la carrière d'un Sinatra, les épreuves, les concessions, les compromissions de l'une des plus grandes stars du show biz avec les concessions de cette époque donc post-Empire. Et il évoque les studios Disney et l'écrivain-réalisateur des Gardiens de la galaxie James Gunn, forcé de démissionner pour des tweets très anciens et maladroits, sur la pédophilie, le sida...
Décapant, ce nouvel opus d'un auteur qui reste dérangeant, souffre tout de même d'une traduction parfois curieuse, de "l'inauguration" de Trump, aux "amis et accointances", en passant par la "culmination". Dommage.
White (trad. Pierre Guglielmina), ed. Robert Laffont, 291 pages, 21, 50 euros