Littérature noire
4 Juin 2019
Le détective Heredia revient de la cité balnéaire de La Cruces où il a passé six mois, seul avec son chat Simenon, à peindre les portes et les volets d'une résidence. De retour à Santiago, son appartement-bureau est fermé : il faut désormais une carte de résident pour pénétrer dans l'immeuble. La nuit avançant, Heredia se réfugie dans un hôtel borgne du quartier. En pleine nuit il est réveillé par deux calibres posés sur sa tête : la police vient l'interpeller, un homme est mort dans une chambre toute proche. Disculpé, il va apprendre que Gordon, la victime, était un juge de la Cour des Comptes, réputé incorruptible et pas le genre à fréquenter des hôtels de passe. De quoi piquer la curiosité du détective. Il en parle avec Bernales, jeune flic qui était sous la protection d'un ancien ami. Il en parle surtout avec Campbell, rédacteur en chef d'une revue, amateur d'enquêtes, de bonnes histoires. Cette affaire Gordon pourrait être quelque chose à raconter. Surtout qu'Heredia apprend que le juge travaillait sur trois rapports. Enfin, deux, puisque celui sur le projet de gazoduc entre le Chili et l'Argentine a disparu. Un dossier majeur, avec beaucoup d'investissements et de gros enjeux écologiques. Et curieusement un des coursiers de la Cour des Comptes se fait quelques jours après, écraser par un taxi.
Conscience écologique, corruption dans les ministères, Ramon Diaz-Eterovic manie avec brio des thèmes indémodables dans ces Sept fils de Simenon. Comme nombre d'auteurs sud-américains, le créateur d'Heredia a un sens incroyable de la poésie, qu'il parle des femmes ou de Santiago, sa ville, la plume est baignée de nostalgie, de douleurs, d'un sentiment de luttes inégales. Le lecteur est ici au coeur du plus pur style Diaz-Eterovic, qui parle de politique sans avoir l'air, qui convoque les vieux démons de Pinochet, observe son pays évoluer. Heredia est un phénomène, capable de boire du vin dans la rue avec un ancien boxeur devenu clochard, d'aider trois vieilles à intercepter un voleur à la tire et puis d'affronter un ancien flic devenu nervi des puissants. Côté femmes, c'est plus difficile, entre une jeune amoureuse qui ne sait plus si elle tient encore à lui et ses propres désirs, parfois incontrôlables...
Sixième roman de la série Heredia, premier publié en France, avant même La mort se lève tôt, Les sept fils de Simenon est d'un classicisme rare mais avec une patine unique, un polar généreux, émouvant, qui, une fois de plus c'est vrai, montre à quel point l'argent broie les hommes et les consciences. Ce n'est certes pas de la dernière originalité mais, écrit en 2000, ce roman conserve toute sa fraîcheur, son actualité. Il faut lire Ramon Diaz-Eterovic.
Les sept fils de Simenon (trad. Bertille Hausberg), ed. Métailié, 285 pages, 9 euros