27 Juin 2019
C'est donc l'un des événements littéraires de cette année 2019. Avec Né d'aucune femme, Franck Bouysse trouve enfin une consécration à la fois du public et de la critique. La preuve avec ces prix, Elle, Babelio, remis par des jurys de lecteurs, et cette reconnaissance des professionnels, si l'on en juge par les sollicitations médiatiques et notamment cette invitation sur le plateau de La Grande Librairie. Autant dire que cela fait plaisir, à la fois pour l'auteur et pour son éditeur, La Manufacture de livres, patient dénicheur de talents.
Né d'aucune femme reprend les algorithmes chers à Franck Bouysse. Une société rurale refermée sur elle-même, l'injustice sociale, la violence, faites aux hommes et, surtout cette fois, aux femmes. On se souvient toujours de la beauté sombre de Grossir le ciel. Cette fois, Bouysse pousse plus loin le romanesque avec ce personnage de Rose, arrachée à sa famille, vendue à un riche propriétaire en mal de descendance, dans les années 1850 on imagine. Le roman étant sorti il y a six mois, nul besoin de s'attarder sur l'histoire elle-même, dévoilée à l'envi chez les confrères blogueurs et dans les meilleurs journaux. Mais on s'arrête quand même sur cette riche idée narrative, confiant au père Gabriel le soin de lire le journal de Rose après sa mort. Une façon d'introduire le "je" de l'héroïne après le "je" du curé et avant le "je" d'Edmond. L'artifice du journal est bon en cela qu'il permet de détailler la psychologie de Rose, ses longs tourments. Mais prive, par conséquent, l'auteur de la dynamique des dialogues. C'est parfois ce qui manque dans le roman mais Franck Bouysse s'en tire en insérant ici et là des échanges entre Rose et le maître, la vieille mère... à la façon de William Gay, pour la mise en forme, l'auteur corrézien choisit de glisser ses dialogues dans le coeur du texte. Sous entendu aussi : ces sociétés sont des sociétés de peu de mots.
Né d'aucune femme délivre des émotions d'une rare puissance, le lecteur se sentant parfois oppressé dans cette chambre de bonne que rejoint Rose après le souper. C'est tout le talent de Bouysse d'arriver à saisir le sentiment juste, puis à le sculpter patiemment. On ne parlera encore une fois ici de sa langue, si riche, cette prose généreuse, à la recherche du mot juste. L'héroïne, elle-même, avoue cet amour des mots qui sonnent, ce français de la campagne mais ce français tellement imagé et fin, un vocabulaire que l'on redécouvre parfois.
Avec ce nouveau roman, tragique et inspirant, il s'installe un peu plus comme un auteur qui compte dans le paysage hexagonal. Un des rares auteurs qui prend le parti clair de raconter la ruralité, dans sa rudesse, sa noblesse, son histoire difficile. Il y a clairement une voix Franck Bouysse désormais.
Né d'aucune femme, ed. La manufacture de livres, 332 pages, 20, 90 euros