Littérature noire
11 Juillet 2019
Violente fable sociale que Marion Brunet a sorti l'an passé en grand format et que Le livre de poche vient donc de reprendre. L'été circulaire fait partie de ces rares romans où l'on cherche vainement un défaut, un cliché, un truc facile. Non, l'auteure a cherché la simplicité dans son histoire, de l'os avec un peu de muscle autour et pas plus. Mais faire simple, c'est souvent le plus périlleux.
Voici donc Jo et Céline, deux soeurs en pleine adolescence. La plus grande d'un an, Céline apprend à ses parents qu'elle est enceinte. Dans ce sud perdu, écrasé par le chant des cigales autant que par l'ennui, son père, Manuel, maçon, sa mère, Séverine, cantinière réagissent très mal. Et veulent immédiatement savoir qui est le père. Mais Céline se tait. Les soupçons se portent sur Said, l'ami d'enfance des deux frangines. Un arabe ça tombe ben, ça donne quelqu'un à haïr avec tous ces attentats. Jo, elle, profite de son été pour se rendre à Avignon, découvrir le théâtre en vrai. Elle y fait la connaissance de Garance, jeune fille issu d'un milieu bien plus aisé.
L'été circulaire est hautement social et donc politique puisqu'il plonge dans l'intimité d'une famille et d'un milieu. On n'est pas encore dans la misère sociale, tout le monde bosse, mais c'est juste un peu mieux que de la survie : pas de vacances, pas de loisirs culturelles, juste la fête du village et son manège frissonnant, La Tarentule, qui revient chaque été, avec sa même chanson, Freed from désire. Circulaire... Manuel est un connard, c'est vrai. Même pire que ça. Mais il n'est pas si monochrome. C'est juste que sa vie, comme pour les autres, lui a échappé. "Et il se remémore les nuits d'avant, quand tout avait du sens, que l'avenir était à lui. Il y pense comme s'il s'agissait d'un autre, se regarde avoir été. "Déterminisme social XXL dans un univers où on ne dit que très peu je t'aime, à ses enfants ou à son mari, sa femme.
Si c'est hautement politique c'est aussi parce qu'en quelques touches, deux, trois coups de pinceaux délicats, l'auteure raconte ce Sud où les riches viennent se faire construire, par la working class locale, des baraques avec piscine. Il s'agit plus que jamais de classes sociales, pour ne pas dire castes, tellement l'écart est énorme. Un Sud donc mythifié, idéalisé mais où les habitants ne peuvent se réaliser, un Sud qui sonne aussi comme une prison... même pas dorée.
Marion Brunet, habituée aux romans jeunesse, a aussi une certaine idée de la narration, construisant son roman avec une succession de scènes qui sont comme des rounds d'un long match de boxe. L'ouverture de L'été circulaire est ainsi d'une rare efficacité, résumant presque ce qui va suivre, l'ambiance, la folie domestique. Sans oublier cette fête chez les jeunes bourgeois et ce sentiment de malaise qui suinte des pages.
Sans aucun doute l'un des meilleurs romans français qui nous soit tombé entre les mains ces douze derniers mois. Avec le Hervé Le Corre.
L'été circulaire, ed. Albin Michel, 266 pages, 18 euros.