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The killer inside me

Littérature noire

Le coureur de fond devenu auteur

Discret. Réservé. Valerio Varesi est un Italien à rebrousse poil, un homme qui compte ses mots, ne hausse jamais le ton. Les mots, ce journaliste de La Reppublica, à Bologne, préfère les choisir pour ses romans, sa série de polars, avec son désormais célèbre inspecteur Soneri. Onze romans publiés en Italie, un douzième à la rentrée et les éditions Agullo qui, en France, ont pris la mesure de cette œuvre en 2015 en éditant le premier volume, Le Fleuve des Brumes. Et en remontant tout doucement le fil des publications transalpines (prochaine parution avril 2020).

Depuis, bon an mal an, chaque nouvelle enquête trouve 20 à 25 000 lecteurs dans l'hexagone. Après les démons de la Seconde guerre mondiale ou le scandale Parmalat, Les mains vides, sorti en janvier, aborde frontalement la question des organisations criminelles, dans sa bonne vieille ville de Parme. Sans massacre, ni flot d'hémoglobine, juste une ombre malsaine. « On appelle ça la ligne des palmiers, cette montée vers le nord des différentes mafias, explique-t-il dans un français savoureux à l'occasion du festival de Frontignan, au début de l'été. La mafia gagne énormément d'argent avec la prostitution et la drogue mais les marchés publics permettent bien sûr de blanchir cet argent, surtout dans le Nord du pays où l'économie reste très dynamique. Comme les sous traitants ne sont jamais contrôlés, ils peuvent proposer aux grandes entreprises des tarifs défiant toute concurrence et tout le monde est gagnant puisqu'ils sont les seuls, pendant la crise, à payer cash... Nous, journalistes, on sentait que quelque chose se passait. C'était difficile à cerner précisément mais il y avait des signes. Je me souviens du préfet, en 2004, qui me disait que j'écrivais n'importe quoi. Et puis en 2013 c'est carrément le maire de Milan qui affirme que la mafia n'est pas arrivé chez lui : trois mois après ils interpellaient 20 personnes de la N'drangheta dans sa cité. »

Le combat avec les mots, les idées, de Valerio Varesi rejoint en quelque sorte celui de ses parents, 70 ans plus tôt, contre l'Italie fasciste de Mussolini. Deux partigiani, deux jeunes paysans, qui ont intégré les célèbres Brigades Garibaldi, dans la Brigade 47, rebaptisée 157, remparts armés contre le Duce et ses factions. D'une telle histoire familiale, il reste forcément des traces, des anecdotes, même si l'auteur avoue que ses parents n'ont plus jamais fait de politique après la guerre, ni milité pour le Parti Communiste. Les parents Varesi quittent Parme en 1952 pour trouver du travail. Direction Milan. Le père installe des parquets, la mère fait des ménages dans une famille bourgeoise. Et c'est dans ce foyer prolétaire que Valerio Varesi voit le jour. Il aurait pu avoir une enfance milanaise, un destin tout autre mais un grave accident force son père à quitter son métier et à rentrer à Parme, dans un quartier populaire, alors que le petit Valerio à trois ans.

« Je ne vais pas faire du thriller, du grand guignol »

Dans la cité de Toscanini, il va s'épanouir, entre sa bande de copains, les courses de demi fond (5 000, 10 000 m, cross) et puis les vacances chez ses grands-parents dans les Appenins. Il va se forger une identité parmiggiana, travailleuse, simple, presque austère. A l'inverse de ce sud, qu'il avoue ne pas comprendre parfois, « mais c'est normal après tout, il y a tant de différences. Vous ne retrouverez pas ça en France. En Aoste, on parle quasiment allemand ou français et dans le Sud, c'est un peu grec, albanais, arabe. C'est culturel. Et puis dans le Sud je crois que l'on attend tellement plus de l'Etat italien. C'est dommage. Et du coup toutes les énergies qu'il pourrait y avoir filent dans le Nord... »

Valerio Varesi n'est pas un nostalgique, pas de ceux qui pensent qu'avant c'était mieux. Pourtant son héros, dans le dernier tome, semble baisser les bras : « des années qu'il enrageait, des années que rien ne changeait »... « Il se rend simplement compte que l'on ne peut s'élever contre cette criminalité internationale richissime. Il est à la fois en colère et impuissant parce qu'il n'arrive pas à atteindre la tête de l'organisation. Je fais du roman social classique dans la veine des Simenon ou Manchette. Pour moi c'est le moyen de raconter les problèmes de ma société. Je ne vais pas faire du thriller, du grand-guignol, je veux m'inscrire dans une forme de tradition du polar. Parce qu'il y a des choses à dire. Nous vivons avec les organisations criminelles au cœur de la société. En 2004 encore, la police est intervenue à Brescello, en Emilie Romagne, la petite commune de Don Camillo et Peppone. Eh bien là c'est tout le clan ndranghetiste de l'Aracri Grande qui a été démantelé, 115 personnes interpellées, le maire qui démissionne. Mon commissaire Soneri est un peu sociologue et en ce sens, il développe une intériorité, s'interroge sur son utilité dans ce monde. Cela rejoint bien sûr les questions de Kierkegaard dont je suis grand amateur. Les questions sont à la fois simples et profondes : est-ce que je suis incapables d'agir sur ce monde ? Comment je peux vivre dans une société qui n'est pas l'idéal que j'imaginais ? Dans Les ombres de Montelupo, c'est une version du scandale Parmalat qui a tétanisé toute une région qui travaillait pour cette entreprise. Dans Les mains vides, par exemple, de voir un musicien de rue se faire voler son accordéon, c'est un parjure dans la ville de Verdi. »

Dans son prochain roman prévu en Italie, La paura nell'anima, le Parmesan y traque, à travers un fait divers, la paranoia, les petites délations, suspicions et cette peur de tout, du chômage, de la maladie, de l'étranger. La peur, qui représente tellement, selon lui, nos mondes modernes. Journaliste aux premières loges des frasques des hommes politiques italiens, il ne s'enflamme pas une seconde quand on prononce le nom de Matteo Salvini, ministre de l'Intérieur, aux méthodes brutales. Très posément, Valerio Varesi vous explique, par l'exemple, que « c'est un populiste avec les caractéristiques d'un fasciste, notamment parce que le gouvernement nomme les dirigeants de la RAI et donc contrôle totalement ces canaux. Et aussi parce qu'il dénonce sans cesse l'Europe, comme source de problèmes au lieu d'évoquer la lourde question des dettes publiques. Je ne pense pas qu'il va durer dans le temps. Par contre, il sera remplacé par quelqu'un qui lui ressemblera... »

A bientôt 60 ans, l'auteur se place plus dans le rôle du témoin que de Cassandre. Habitué de l'information, il écrit sur des faits pour fouiller les malaises collatéraux de l'Italie qui sont aussi les nôtres et ceux du monde occidental. Pétri d'une éducation où la bienveillance n'était pas qu'un mot, fort d'une plume humaine et gourmande, Valerio Varesi se constitue un public fidèle, de la Turquie, à l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne. Chaque année, il parcourt en moyenne 45 000 kilomètres pour des rencontres, des débats, des signatures. Cette fameuse solitude du coureur de fond.

photo Andrea Bernardi

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