Littérature noire
19 Août 2019
Une trilogie policière ultra violente dans les rues de Santiago du Chili a suffit à Boris Quercia pour se faire un nom dans le genre. Mais l'auteur est avant tout un homme de culture, scénariste, comédien et réalisateur. Qui retourne à ses premiers amours. Rencontre lors du dernier festival international de Frontignan
Votre dernier roman, (La légende de Santiago, ed. Asphalte) se termine par « c'est vraiment la mort ». C'est le point final de la trilogie ?
Je pense que oui. Même si je crois à ce satané espoir d'un retour. Je viens de faire une série télé basée sur cet ultime épisode et j'avoue que j'ai laissé un final ouvert, avec donc cet espoir infime que peut-être mon personnage Santiago Quinones pourrait revenir. J'aurai bien aimé, quand j'ai commencé la trilogie, qu'il ne soit pas comme cela, amené à mourir, mais quand on voit son chemin, son parcours dans les trois livres, c'est juste de la logique. Faire mourir son personnage principal ce n'est pas facile parce qu'il y a un point de vue économique : quand ça marche, il faut continuer. Mais là, je veux tourner une page de ma vie. Je passe à autre chose. Il vaut mieux que ce soit lui qui meurt que moi !
Ramon Diaz-Eterovic est un autre grand auteur chilien de polars mais chez lui il n'y a pas cette violence ?
J'ai lu et je lis encore Ramon Diaz-Eterovic qui est très connu au Chili. D'une manière assez naturelle je souhaitais écrire autre chose, presque aux antipodes. Et d'un autre côté, je voulais quelque chose d'extrêmement réaliste et aujourd'hui au Chili, le détective privé (Heredia, le personnage de Diaz-Eterovic) n'existe quasiment plus. La police m'est aussi plus familière, c'est un monde que je connais. La frontière entre ces policiers et les délinquants, dans les rues de Santiago, est une frontière très, très poreuse.
Vos références sont où ?
Clint Eastwood ! Je le cite parce que Santiago Quinones a toujours ce visage figé, cette difficulté à montrer ses émotions. Mais côté influences, j'ai vraiment chercher à faire des romans avec tous les ingrédients du Noir, la tristesse intérieure du flic, les femmes fatales, la corruption, mais dans une réalité sud américaine qui n'a pas le glamour des romans noirs classiques. C'est un cocktail entre les fondamentaux du genre et le quotidien cru et dur de notre continent. L'Amérique latine a des endroits d'une rare sauvagerie, vous savez, on a perdu la lutte contre la drogue. J'ai l'impression que la seule solution aujourd'hui, c'est la légalisation. Et il y a par ailleurs, peut-être au Chili un peu moins que dans les autres pays, une énorme méfiance vis à vis des forces de police. Ces dernières années, plusieurs affaires de corruption dans mon pays ont terni l'image de la Justice et de la Police. Cela crée un manque de légitimité. Et mon personnage de Santiago se méfie donc de la loi et fait la sienne, décide de ce qui est bien, ce qui est mal.
Le roman, c'était un accident dans votre carrière artistique ?
Pas un accident mais quelque chose d'inévitable, un passage sur mon chemin. Je suis acteur, metteur en scène et cela m'a aidé pour écrire mes scènes, finalement ces métiers se connectent involontairement, s'influencent mutuellement. L'industrie veut que les métiers soient très séparés mais en réalité ça ne l'est pas. C'est le même univers.
Comment ont été reçus vos romans chez vous ?
Très bien. Mais le Chili est un pays qui lit peu. Il n'y a, par exemple, pas la même passion pour la lecture qu'en Argentine. C'est un marché très petit et le livre est toujours en crise, donc écrire un roman, le publier, ce n'est pas un événement chez nous. Côté institutions, l'Etat m'a aidé pour réaliser la série, m'a financé mais m'a demandé d'y aller un peu plus mollo sur la présence de la drogue et de la corruption notamment. Ce n'était pas de la censure, juste une demande. Avant de faire la série, j'ai demandé à la police chilienne l'autorisation d'utiliser son nom, ses insignes. Mais ils me l'ont refusé... J'ai donc inventé une police civile. Mais ce n'est pas avec le livre que j'ai eu des problèmes, c'est plus la transposition au petit écran.
Vous parlez de séries, cela signifie que vous êtes aussi envahis par Netflix et toutes les autres plateformes ?
Nous aurions peut-être pu tourner ma série pour ces plateformes gigantesques. Mais ce n'était pas du tout l'objectif de départ. D'abord il y a tellement d'exigences pour entrer dans le cadre de ces séries que ce n'était pas possible. Au Chili aussi Netflix a énormément de succès. Et la télévision chilienne voudrait bien résister parce qu'il y a beaucoup d'argent dans les séries télé internationales mais cet argent on ne sait pas trop où il va à la fin. Netflix pour parler d'eux, ne payent pas d'impôts au Chili, vous voyez ce que je veux dire ? Le Conseil national de la télévision co-produit, avec moi, la série Santiago Quinones, pour essayer d'offrir un contenu local et de qualité. Parce que notre problème c'est qu'au cinéma on ne voit que des productions nord américaines et à la télé on ne voit que des séries nord américaines. Alors qu'est ce qu'on fait pour proposer autre chose ?
Le Chili est un pays dont on parle très peu ici dans l'hexagone. Qu'est ce qui se passe chez vous, toujours des manifs d'étudiants ?
Actuellement, le phénomène le plus marquant, comme dans le reste du globe, c'est la révolution féministe. Le Chili comme le reste du continent est très machiste, avec un système très asymétrique. Mais là, ce mouvement a commencé à changer les choses. Sinon, l'économie chilienne est sans doute la plus néo-libérale du monde. C'est un expérimentation depuis les années 90, tout est privé, la santé, l'éducation et le service public se réduit chaque année un peu plus. C'est complexe. La télé sera aussi bientôt privatisé et, quelque part, c'est un peu ce qui va arriver au reste de la planète je pense. La concentration des richesses est un vrai problème au Chili, pour faire rapide : les riches deviennent de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres, et la classe moyenne est en train de disparaître.