14 Septembre 2019
Laure Limongi est une auteure fascinante. Totalement vouée à la littérature, corps et âme, pour le coup l'expression n'est pas galvaudée. On avait été estomaqué par l'écriture de Soliste, emballé par Anomalies des zones profondes du cerveau, presque un traité scientifique sur la migraine. Et puis entre-temps il y avait eu ce projet fou de Ensuite, j'ai rêvé de papayes et de bananes. Laure Limongi n'est jamais là où on l'attend. Et ça, c'est plutôt une très grande qualité. Avec On ne peut pas tenir la mer entre ses mains, l'auteure bastiaise se projette dans ses souvenirs, son enfance. Stop ! Ce n'est pas une autobiographie. Mais il y a une part d'elle-même évidente.
Huma revient en Corse après des années de travail (d'exil ?) sur le continent. Sa famille a totalement disparu. La maison où elle a grandi ne lui appartient plus. Et elle se souvient. D'un lourd secret familial. D'une grand-mère acariâtre, possessive, égocentrique, violente. La jeunesse d'Huma s'est faite entre une mère magnifique, au tabagisme XXL, un père mystérieux qui va disparaître, cette ancêtre à moitié psychopathe. Et puis l'Alcyon, cette maison, avec ses recoins, son escalier, ses ombres. Huma remonte le fil de son histoire jusqu'à la découverte de ce qui pèse sur son clan. Tensions entre les hommes de la famille, les femmes, les générations. Avalanche de non-dits et de menaces voilées.
Roman sur la Corse, sur la dépossession d'une identité, On ne peut pas tenir la mer entre ses mains déroule une énorme étude psychologique autant qu'une belle galerie de portraits cassés. Mais c'est parfois le premier aspect qui prend le dessus. Un peu trop. Pas de quoi rendre cette narration indigeste toutefois, car si c'est une belle radioscopie de fêlures familiales, le roman est aussi une ode à la maison de famille, pilier central des Corses (mais pas seulement sans doute), là où trois, quatre, cinq générations ont vécu, dormi, aimé. Cette notion est centrale dans la vie insulaire et bien sûr dans la vie de Huma qui sent comme une fin de règne, lorsque L'Alcyon aussi, sort de son existence. Laure Limongi réussi ici quelque chose de difficile, à savoir attraper ce sentiment d'appartenance à un lieu, une bâtisse, ciment de l'identité. Ne dit-on pas casata pour nom de famille, en corse ?
Ce nouveau roman de la Bastiaise ne parlera pas seulement aux insulaires. Dentellière de l'écriture, l'auteure s'impose une discipline énorme dans sa narration, dans sa prose. En même temps, lorsque l'on est enseignant de création littéraire à l'université du Havre, on se sait attendue, scrutée ! Et encore une fois, même si ce roman offre de longues pages de résilience qui ne déplairait pas à Boris Cyrulnik, il est dans le vrai, dans la lucidité d'une société complexe, souvent en souffrance.
On ne peut pas tenir la mer entre ses mains, ed. Grasset, 288 pages, 19 euros