17 Octobre 2019
La jeune démocratie sud-africaine est un nid de vipères. La State Security Agency, héritière des services de renseignements de l'Apartheid, multiplie les missions les plus contraires, menées par des officiers qui se connaissent à peine, parfois juste de réputation. Il y a le colonel Kaiser Vula qui supervise l'attentat contre un colonel centrafricain réfugié au Cap avec sa famille : à la sortie d'une messe, il est mortellement blessé, une de ses filles de cinq ans est tuée. Un fiasco. Un autre responsable de la SSA envoie l'ex-avocate Vicki Khan, sur les traces d'une mannequin sud africaine impliquée dans un trafic d'enfants en lien avec le fils du président. Un troisième agent brouille un peu plus les pistes, en mettant en contact Fish Pescado, détective privé, avec l'épouse du colonel abattu : une femme bien décidée à faire toute la lumière sur le carnage. A moins que la situation change dans son pays. Et c'est le cas. Le président sudafricain, véritable despote, possède une mine d'or en Centrafrique et souhaite avant tout préserver ses intérêts. Autoritaire, loin de l'image d'un Mandela, ce président s'affiche désormais avec la jeune maîtresse de Kaiser Vula, une beauté adepte des poudres de sorciers. Dans quelques jours, elle sera officiellement présentée comme la nouvelle épouse, la quatrième d'un chef d'Etat, respectant à la lettre la tradition de la polygamie. Mais au sein de l'appareil d'Etat, on se lasse de l'attitude du président, au point d'envisager le pire contre lui...
Machiavélique, L'agence est un formidable roman d'espionnage qui ne craint pas de laisser un peu perdu son lecteur. Comme dans tout (bon) exercice du genre, il y a de nombreux blancs à combler et puis des déplacements, du mouvement. De Durban au Cap certes mais aussi à Berlin, à Amsterdam. Enfin, comme il faut aussi son quota d'hémoglobine et de poursuites, Mike Nicol fournit une belle scène d'ouverture façon western, un assassinat aux petits oignons, et des filatures dans l'atmosphère poisseuse de l'été sud africain. Bref, le parfait roman hommage aux meilleurs Le Carré mais aussi, à travers la ville imaginaire de Trekkersburg, un clin d'oeil à James McClure, auteur sud africain qui avait placé sa série Kramer et Zundi dans cette même ville. Si le précédent opus de Mike Nicol, Powerplay était un brin poussif, exagéré dans les personnages, cette fois l'ancien journaliste réussi à merveille à tisser une intrigue forte, avec des rôles justes (et des femmes toutes incroyables) et un arrière-plan politique mêlant corruption, héritage de l'ANC et violence d'Etat. Plus que la suite de Powerplay (même si on recroise vite fait un personnage comme Titus) c'est en fait celle de Du sang sur l'arc en ciel puisque on y retrouve donc le surfeur Fish Pescado et Vicky Khan. Mike Nicol évoque ainsi ouvertement la gangrène de son pays, toujours classé parmi les plus violents au monde (37e rang mondial), mais surtout empêtré dans une gouvernance pervertie, minée par les combats internes, les abus de pouvoir.
Virevoltant, implacable dans sa narration, L'agence mène à une scène finale forcément dramatique, explosive, en respectant tous les stades de la tension. Du noir de haut niveau. Et on apprécie une fois de plus tout le vocabulaire zoulou inséré à petites doses.
L'agence (Agents of the state, traduit de l'anglais par Jean Esch), ed. La Série Noire, 555 pages, 22 euros.