10 Octobre 2019
Lucille, 26 ans, vient de quitter la jungle de Calais où elle travaillait pour une ONG. Burn out. Elle débarque, au petit bonheur la chance, à quelques encablures, au fond d'un estuaire, chez Anatole, retraité paisible qui vit dans sa caravane et propose de lui louer un mobil home sur son terrain. Tous deux, râpés par la vie, vont se soutenir, entre un paysage de dunes, de sable mouillé, de phare lointain et de chasse aux oiseaux. Loïk débarque à son tour, quadragénaire passé par la case prison, débrouillard mais instable, bienveillant mais colérique. Ce drôle de trio va vivre une existence de bric et de broc. Anatole collectionnant les tickets de réduction au supermarché, Loïk embauchant sur le chantier voisin qui construit une énorme digue et Lucille se reposant, essayant de remettre un peu d'ordre dans son existence. Ce sont des jours de promenades, de piques niques à l'ombre d'un blockhaus enfoui dans le sable, de grandes citations de Gabin, on évoque les tragédies de la Guerre, les petits faits divers de la région... Anatole fabrique ses oiseaux en bois, leurres approximatifs pour la saison de la chasse qui approche. Il rêve aussi d'acquérir une cabane au milieu des mares. Et puis, au bar, on lui parle d'une cabane justement, visiblement abandonnée. Il va y jeter un oeil et tombe nez à nez avec un jeune écologiste, de ceux que l'on aime pas trop dans le coin. Forcément, il y a drame.
Pascal Dessaint retrouve avec L'horizon qui nous manque sa puissante plume humaine, plume que l'on avait tant appréciée dans Le chemin s'arrêtera là. Ce n'est sans doute pas un hasard si c'est encore son Nord natal qui sert de décor à cette tragédie en forme de triangle. Région oubliée, région sacrifiée aussi, elle multiplie ainsi les destins de souffrances, de peines, de douleurs et de violences. Les personnages principaux ne sont pas des saints, ne sont pas que des victimes, loin de là. Mais Dessaint se garde bien de les accabler et même, de les juger, il a cette bienveillance pour les hommes brisés. L'auteur nous parle de la jungle de Calais, sans s'appesantir, en quelques lignes fortes, il évoque aussi les douloureux rapports de Lucille avec sa mère et puis il y a ce Jules, contremaître par obligation, "Jules se souvenait de son père qui lui donnait des claques parce qu'il ne travaillait pas assez bien à l'école, il ne savait pas exprimer autrement la peur qu'il avait pour lui d'un sombre avenir." C'est souvent fort, parfois bouleversant. La quatrième de couverture parle de ce nouveau roman rappelant l'univers de Bruno Dumont. Oui il y a autant de Flandres que du P'tit Quinquin ici. Mais il y a aussi un zeste de Ken Loach. Pascal Dessaint se montre juste dans sa galerie de portraits, évite de tirer la larme et dresse un paysage humain triste, socialement déchiré, où surnage, malgré les chasseurs, une Nature vibrante, des oiseaux par milliers, inconscients du drame qui se joue. Un des personnages pose la question de savoir s'il vaut mieux sauver les hommes ou cette Nature. L'auteur y répond, indirectement. Un grand retour pour l'auteur du fameux Bal des frelons.
L'horizon qui nous manque, ed. Rivages, 218 pages, 19 euros.