Littérature noire
21 Novembre 2019
D'accord, on l'a déjà dit : Le canard siffleur mexicain n'est pas le meilleur des James Crumley. D'abord parce qu'avec Sughrue, le personnage principal, ça colle un peu moins qu'avec Milo, figure indépassable. Mais c'est un roman de Crumley et c'est déjà énorme. Et à l'occasion de la nouvelle traduction de ce roman, son cinquième, paru aux Etats-Unis en 1993, on se rend compte que non, ce n'est pas une histoire brouillonne, c'est bordélique peut-être mais ce n'est certainement pas brouillon. C'est finalement, encore, du très bon Crumley, qui commence sur des chapeaux de roue avec cette mission folle de récupérer pour 5 000 dollars de poissons tropicaux chez le chef d'un gang de bikers qui soigne son anxiété à l'aquariophilie... Et en ouverture (très fort le gars pour cet exercice quand même), il y a cette scène où Sughrue et Solly, défoncés, pose un juke boxe sur les rails juste avant l'arrivée du train de marchandises !
Alors oui, tous les fans de Crumley ont déjà lu cette histoire. Pourquoi acheter cette nouvelle édition ? C'est vrai qu'il y a les illustrations magnifiques de Rabaté, illustrateur, dessinateur de BD super talentueux, très fort dans l'évocation des ambiances, véritable peintre à l'encre de Chine. C'est un premier argument. Le deuxième c'est que c'est toujours Jacques Mailhos qui est à la traduction. Sauf que la première traduction dans La Noire (Gallimard), c'était quand même Nicolas Richard, pas un perdreau de l'année question anglais. Donc,ici, petit exercice traditionnel de comparaison, où l'on note que c'est vraiment dans les nuances que la différence se fait. Et puis, sans doute plus que dans les descriptions, dans les dialogues. Pourquoi ? Il faudra demander aux experts.
Gallmeister (p. 128) : "En Amérique il existe des règles de comportement - des règles de conduite qui peuvent chambouler votre chance dans un pays fondé sur les règles de la chance. Par exemple, passé quarante ans, n'allait jamais dans un endroit où vous n'êtes jamais allé auparavant. Sauf sur les conseils d'un ami sûr. Ne sortez jamais le soir sans être vêtu de noir. Et ne vous rendez nulle part en Amérique, sans une arme de poing, un peu de C-4 et une longueur correcte de cordon détonnant. Les règles, ça marche."
Folio (p.132) : "Il y a des règles qui régissent le comportement en Amérique, des règles de conduite, des règles qui peuvent faire basculer la chance de votre côté dans un pays fondé sur le principe du coup de pot. Par exemple, après quarante balais, ne mettez jamais les pieds où vous n'êtes jamais allé. Sauf si quelqu'un d'autre vous a tuyauté. Ne sortez jamais le soir si vous n'êtes pas fringué en noir. Et ne vous déplacez jamais en Amérique sans un flingue, un peu d'explosif C-4 et un fil pour le détonateur. Les règles, ça marche."
Gallmeister (p. 147) : "le sac à langer me parut un peu lourd, et quand je le posai, il fit un bruit terriblement spectaculaire au contact du carrelage. J'avais connu des femmes - plusieurs en fait - qui transportaient un pistolet dans leur sac à main, mais c'était en général des modèles bon marché, légers et faciles à manier : automatique calibre 25 ou revolver à cinq coups calibre 32. Mais Wynona était la première femme que je rencontrais à avoir dans son sac à langer un Colt Woodsman 22 avec réducteur de son, l'arme de choix chez certains tueurs professionnels..."
Folio (p. 151) : "le paquet de couches me paraissait un peu lourd et fit un bruit sourd tout à fait déplacé quand je le posai sur le carrelage. Des femmes qui trimbalaient des flingues dans leur sac à main, j'en connaissais - plusieurs en fait - mais c'était habituellement des trucs bon marché, légers, faciles à manier : un 25 automatique ou un revolver cinq coups de 32. Mais Wynona était la première femme de ma connaissance à mettre dans une couche un Colt Woodsman 22 avec silencieux, une arme particulièrement appréciée chez les tueurs professionnels..."
Gallmeister (p. 284) : "pendant qu'il se taisait, je suggérai :
- Ou des problèmes d'évacuation.
Jimmy sourit.
- Des problèmes d'évacuation ?
- Quelqu'un devra s'occuper du décompte des cadavres, dit Franck. (Puis il recula et fit un grand geste du bras.) Messieurs, choisissez vos armes.
Derrière moi, sous les ombres noires de la hutte en bambous, j'entendis Carney affûter son couteau.
- On parle de combien d'hommes, là-dedans ? demanda Jimmy en prenant l'automatique calibre 22 à réducteur de son."
Folio (p.294) : "comme il s'était interrompu un instant, j'en profitai pour suggérer :
- Ou des problèmes d'enlèvement.
Jimmy grimaça. " Des problèmes d'enlèvement ?
- Il faut bien que quelqu'un fasse le décompte des corps" fit Frank, puis il recula en faisant un geste ample. "Messieurs, choisissez vos armes."
Derrière moi, j'entendis le frottement du canif de Carney provenant de la hutte en roseau.
"Il va y avoir du monde ? demanda Jimmy en récupérant le vingt-deux automatique avec suppresseur."
Le canard siffleur mexicain (The mexican tree duck, trad. Jacques Mailhos), ed. Gallmeister, 376 pages, 23,40 euros.