Littérature noire
29 Novembre 2019
Trois novellas, publiées en 1987, en 1993 puis en 2006. Trois histoires dans le même décor du quartier de Barbès et avec ce même personnage, Jacques Tramson, anti héros attachant, toujours borderline, éducateur social prêt à accueillir ses protégés pour une bière dans son appart' XXS, à consoler une fille perdue dans les rues, à sortir ces gamins des trafics en tous genres...
Rebelles de la nuit, première des novella, raconte l'histoire tragique de Fred Ballestra, jeune homosexuel, super musicien que Tramson doit retrouver pour sa famille. Hélas, le soir où il le récupère, le môme se fait poignarder sous ses yeux. S'ensuit une enquête poisseuse entre combats clandestins de chiens, trafics de dope évidemment et prostitution. L'éducateur va bien sûr dépasser quelque peu ses prérogatives, goûter aux phalanges de voyous pas très satisfaits de sa curiosité...
La porte de derrière, c'est l'histoire de Farida, fille attachante mais jetée à la rue qui s'en va dealer du crack pour refaire surface. Elle croise son amour Nasser, qui a replongé tête première dans les "cailloux". Dispute, des coups, une lame, Nasser canne sur le pavé de Barbès. Un flic, potier à ses heures, recherche Farida. Et il n'est pas le seul. Tramson va tenter de protéger Farida avec ses maigres moyens...
Quand la ville mord s'intéresse cette fois à Sara, jeune prostituée congolaise, rêvant d'exposer ses peintures mais bien obligée pour l'instant d'offrir son cul et le reste... Elle entre en fusion, le jour où son amie est dessoudée par leur mac qui en a profité pour lui prendre ses économies.
Ce Barbès trilogie sent évidemment fort le pavé, la sueur, les poubelles, la peur et les épices. Marc Villard n'a pas son pareil pour décrire, peindre un univers qu'il connaît sur le bout des doigts, un monde qu'il ne peut s'empêcher de regarder avec lucidité et un peu de bienveillance. "La nuit tombe sur Barbès. Toutes les familles tassées dans les taudis alentour se scindent en deux groupes bien distincts. Les parents prennent l'air à la fenêtre, dardant un oeil sans illusion sur les pitreries de Foucault ou Sabatier pendant que leurs rejetons descendent retrouver la rue, les copains, leurs coups foireux, leurs deals de merde. C'est l'heure où Barbès nous la joue Casbah. Les Antillais ne sont pas les derniers à insuffler du relax dans la tension. Ils sortent leurs congas, les filles remuent leur cul et sur la rythmique inversée de Kingston - c'est Dennis Brown qui tient la corde ces temps-ci - font trembler toutes les vitrines du Triangle d'or. Des morveux de dix ans aux prunes tirent sur des joints de hasch dans les arrière-cours pendant que l'hôtel du crack affiche complet, distribuant ses pipes à tous les étages."
Il y a parfois un petit côté désuet, ou plutôt vintage dans cette passion du jazz ou dans la syntaxe toujours assez classique, mais c'est incroyable de voir, aussi, l'évolution de cette micro-société, de ce quartier. Marc Villard, qui a eu la furieuse bonne idée de prendre un éducateur comme personnage central, est un puissant témoin non seulement de ce lieu mais aussi de l'époque, il saisit le quotidien des paumés, des sans papiers, des putes, des shootés. Créant des personnages féminins brisés mais rayonnant. Pas si commun dans le genre.
Barbès trilogie, ed. La Série Noire, 369 pages, 20 euros