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The killer inside me

Littérature noire

Le sourire du scorpion : fantômes de la guerre en Yougoslavie

Maison d'édition installée à Marseille, Le mot et le reste s'est fait remarquer ces derniers années pour la qualité et la pertinence de ses livres sur la musique (de Lynyrd Skynyrd au dernier concert des Beatles, en passant par le rock chinois et, récemment, une bien belle Histoire du rock à Marseille). Mais on y trouve aussi des essais. Et de la littérature. Du roman noir ? Pas que l'on sache. Et c'est donc Patrice Gain, et son Sourire du Scorpion qui inaugure le genre. Disons le vite, c'est une entrée plutôt réussie, puisque le roman parvient à jouer avec les codes et arrive aussi à trouver un ton original.
C'est l'été 2008. Au fin fond des gorges de la Tara, rivière monténégrine, Tom, sa soeur jumelle Luna, leur mère et leur père, équipage bohème au possible, entreprennent la descente de la rivière qui, bientôt, sera brisée par un barrage hydro-électrique (coucou Délivrance, inspiration assumée et citée). Pour guider la famille, Goran, un Serbe qui connaît le coin. Mais Mily, la maman, n'est plus aussi enthousiaste. Elle pressent un truc. Que ses enfants et son mari balayent d'un revers de pagaie. Ils sont là pour profiter du lieu : une rivière tumultueuse, aux pieds de falaises de 50 voire 100 mètres. Un premier rapide et tout le monde comprend que ce ne sera pas qu'une balade tranquille. C'est même devenu très risqué lorsque l'orage gonfle les eaux de la Tara. L'aventure devient épreuve dans un lieu sans aucune possibilité d'appeler les secours. Goran joue les Gentils Organisateurs sûr de son coup, mais il n'y a bien que le père, Alex, pour être d'accord. Et dans un nouveau rapide, tout le monde est cette fois éjecté du raft. Tom, Luna et Mily rejoignent la berge un peu plus bas, paniqués. Goran apparaît ensuite. Sans le mari. Le quatuor parvient au bout du périple, alerte les maigres secours mais le corps d'Alex n'est pas retrouvé... la famille, anéantie, rentre du côté de Millau où une vieille ferme et un grand champ les attendent. Goran fait son possible pour se rendre utile. Mieux il va devenir, petit à petit indispensable à une Mily qui ne sort pas de sa dépression. Les jumeaux doivent alors affronter leur scolarité : Tom en collège, Luna en lycée. Et Goran qui se rapproche de plus en plus de leur mère. Lui qui est peut-être en train de fuir de vieux démons de la guerre en ex-Yougoslavie.
A une première partie somptueuse dans les gorges de la Tara, avec ce qu'il faut de stress et d'impuissance face aux éléments et la perte, Patrice Gain poursuit sur ce plateau pastoral, où la rare humanité compose avec des loups, des chevaux sauvages et des saisons sans pitié (ambiance Giono cette fois). Certains trouveront cette seconde séquence, longue, lente. Mais c'est aussi le temps du deuil. La famille ne se prépare pas à un combat de MMA ! Il faut se reconstruire. Et - comment dire - c'est le temps qu'il faut aussi à l'araignée pour tisser sa toile. Tout cela est plutôt très bien construit, avec des éléments savamment livrés au fil des pages. Reste le style de Patrice Gain, très imagée, très fort. Il abuse quelque fois des adjectifs, à trop vouloir préciser, détailler, à coup de "luminescence glacée" et "particules iridescentes"... Mais il y aussi de jolis moments comme "ses cheveux blancs lui conféraient la sagesse que l'on prête aux gens qui ont un tas d'années derrière et un maigre calendrier devant". Un dernier petit bémol : ce monde des hippies est toujours aussi épuisant au 21e siècle !

Le sourire du scorpion, ed. Le mot et le reste, 206 pages, 19 euros
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