Littérature noire
31 Janvier 2020
" - Si tu parles de moi à qui ce soit, tu m'entends, n'importe qui, même ta saloperie de clébard, je reviens et je vide mon chargeur dans le cul après avoir baisé ta femme et tes gosses.
Voilà le genre d'homme que j'étais devenu. ça me filait des aigreurs à ne pas pouvoir dormir, mais ça avait le mérite de fonctionner."
Bienvenue en Albanie. Honnêtement, de ce modeste pays longtemps fermé, que connait-on, à part Loric Cana, l'ancien joueur de l'Olympique de Marseille ? Mais le caractère de ce rugueux défenseur laissait imaginer une certaine aptitude au mal chez ses concitoyens (oui, c'est un raccourci...). Bingo ! Les aigles endormis, de Danü Danquigny plonge le lecteur de 1988 à 2017 dans les remous de la fin du communisme et l'arrivée du capitalisme le plus sauvage et criminel. Décor : Korçë, petite ville du sud à la frontière de la Grèce. Là, Arben a vécu et survécu, élève normal, qui a pris des cours de français en imaginant un jour découvrir Paris. Mais la fin de la dictature se fait dans le chaos. Il perd ses parents, se retrouve forcer de travailler pour des clopinettes... avant que ses amis d'enfance, une fois le communisme balayé, lui propose différents business à travers la frontière : trafic de femmes, trafic d'herbe, montages financiers. Arben s'est marié avec Rina, il a deux enfants et rêve de mieux pour sa famille. Il va partir. Mais pas avant d'avoir mis un peu d'argent de côté.
Les aigles endormis fonctionnent sur le modèle flashbacks traditionnels. La première scène se passe en 2017 puis Danü Danquigny retourne en 78, 88, 93. C'est qu'il y a beaucoup à dire sur la déconfiture de ce pays qu'Arben vit au quotidien, entre les manifs de ses copains, les années d'armée, les mariages toujours arrangés, les bons alimentaires, le raki artisanal et donc le système D pour s'en sortir. Un système D qui va se transformer en système criminel à la chute du régime. L'auteur mène très bien sa barque sur 80% du roman. Même s'il se montre emphatique à certains moments ("la colère, le désespoir, et le goût dégueulasse de la trahison se mêlaient dans le creuset de ma rancoeur"), l'auteur fait parfaitement sentir l'espèce d'impasse de la population, cette négation de l'avenir, de l'espoir et de la jeunesse. Les Albanais sont face à un mur et la criminalité (qui s'est très bien développée depuis) semble le prix à payer pour la liberté. On retrouve là, certaines des questions évoqués par Arpad Soltèsz dans Il était une fois dans l'Est. Mais l'intrigue de Danquigny relève bien plus du western, de la vengeance basique. C'est un peu le reproche qui peut être fait aux Aigles endormis, une intrigue assez basique et un final trop rapide. Notamment pour arriver jusqu'à Loni et Alban.
Les aigles endormis, ed. La Sérien Noire, 214 pages, 18 euros