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The killer inside me

Littérature noire

Sang chaud : le Parrain façon sashimi et alcool de riz

Ce n'est pas une claque. Plutôt un coup de pied dans les roustons ! Sang chaud déboîte, défonce, concasse et enivre. Du polar solide, burné et ce n'est pas un hasard s'il vient de Corée-du-Sud, éloignant temporairement le lecteur de la littérature noire anglo-saxonne, des codes usés du rural ou, à l'inverse, des ambiances urbaines un peu clichés. Pas que l'on n'aime pas ça. Mais Sang chaud, par essence, apporte une vraie originalité.
Le pitch de départ est simple. En 1993, à Busan, chaque quartier est géré par un gang. Dans celui de Guam, deuxième port de la cité, Père Sohn est le patron sexagénaire, adepte du gagne-petit mais du gagne-longtemps. Son fidèle lieutenant, Huisi, quarante ans n'en peut plus de cette vision étroite du banditisme. Ce n'est pas un arriviste mais il a besoin de voir un peu plus grand : "après vingt ans dans la pègre, il n'a réussi à accumuler que des cicatrices, des condamnations et des dettes." Pour l'instant il est le gérant de l'hôtel principal du quartier, vit dans une des chambres, trafique un peu les épices, distribue les autorisations de parasols pour l'été... Sauf que Amy, le fils de son amour de jeunesse Unsik, ex-prostituée, sort enfin de prison. Et c'est le moment dans la vie de Huisu où il faut savoir prendre les bonnes décisions : il décide de s'installer Unsik, de quitter Père Sohn et de se lancer dans un business de machines de jeux. Mais Amy est toujours un chien fou et va bousculer l'ordre établi. Les lames et les machettes s'aiguisent.
C'est un formidable roman de pègre que propose Kim Un-Su. Comme un Monopoly, avec les mafieux qui ont les bons business très risqués, ceux qui ont misé sur la tranquillité, ceux qui ont des places convoitées. Personne ne vient, normalement, marcher sur les pieds du voisin et même après des bagarres, voire des morts, cela doit se régler autour d'une table, avec la bénédiction des anciens. Voire autour d'une bouteille de soju (alcool de riz) et de quelques mets formidables, type soupe de fugu, steak de baleine, coquillages... Il y a dans Sang chaud, ce mélange de protocole incontournable, de politesse, de respect et de violence extrême. Ainsi il faut apprendre que le couteau à sashimi est une arme de choix, avec sa lame d'une vingtaine de centimètres et son fil comme un rasoir. "Même dans les bagarres entre chiens, il y a des règles. La plupart des affaires étant illégales et menées par des jeunes fous, les disputes, petits ou grandes, sont inévitables. Néanmoins, elles obéissent à un minimum de règles. Le couteau et le pistolet, par exemple, ne sont utilisés qu'en cas de nécessité absolue, pour une raison liée au business. Et même dans ces cas, certains impératifs sont généralement respectés : on ne s'en prend pas à la cible quand elle est avec sa famille, on ne plante jamais le couteau en dessous de la taille..." Par contre, comme dans cette formidable scène de funérailles qui s'étire sur 52 pages, on peut se fracasser le crâne à coups de pots de géranium ! Et on peut aussi passer le corps de son adversaire au broyeur, puis donner les restes aux poissons. De toute façon, avec les armes blanches, c'est que la baston dure toujours plus longtemps puisqu'on meurt moins vite qu'avec des calibres.
Sang chaud n'est pas qu'une curiosité, c'est un sacré roman de voyous, de corruption, avec un héros formidable, ce Huisu, intelligent, colérique, issu des bas quartiers de Busan, fidèle à Père Sohn, qui veut juste effacer ses dettes, avoir un peu d'avenir et ne plus être qu'un lieutenant.
Et puis Kim Un-Su même s'il respecte les grandes lignes du roman noir sait s'en départir. Il ne va pas traîner son lecteur dans toutes les rues de la ville à lui raconter le croisement de telle et telle rue, le pâté de maison ici, le parc là... les trucs devenus un peu rébarbatifs dans le polar occidental. Non, Kim Un-Su en revanche s'attache aux gens. Et parvient à croquer une petite dizaine de personnages, des seconds ou des troisièmes rôles, mais toujours avec une identité qui permet de les situer dans le récit.
Depuis une bonne dizaine d'années, les cinéphiles s'éclatent avec le cinéma coréen de Park Chan-Wok (Old boy, coeur avec les bras !), de Bong Joon-Ho (Memories of murder), de Na Hong-Jin (The chaser, The murderer) sans oublier Infernal affairs, A bittersweet life ou bien sûr Dernier train pour Busan. Aujourd'hui avec cette nouvelle maison d'édition, Matin calme, c'est peut-être l'heure de découvrir cette littérature noire sud coréenne. Ce qui est certain c'est que Sang chaud ouvre les hostilités avec puissance et envie.

Sang chayd (trad. Kyungran Choi et Lisa Charrin), ed. Matin calme, 467 pages, 22 euros
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