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The killer inside me

Littérature noire

Paria : grand roman de l'Amérique blanche à la fin des 60's

Polar ? Non. Roman noir ? Assurément. Et du meilleur niveau qui soit. Paria, de Richard Krawiec, possède d'abord une qualité d'écriture admirable, quelque chose de très épuré, simple, sans jamais se perdre dans des descriptions physiques ou géographiques, en usant avec parcimonie des adjectifs. Et cela donne un récit où la fluidité règne, l'évidence est partout. Mais cela, le lecteur le savait déjà depuis au moins son précédent roman, Vulnérables.
Mais Krawiec n'est pas, tant mieux pour nous, qu'un sacré styliste. Il raconte de terribles histoires.Terribles dans le double sens, de douloureuses, effrayantes et d'une très grande qualité. Et ce qu'il y a de mieux, c'est qu'il utilise un matériau fait de presque rien. Il ne convoque pas la grande Histoire américaine ou le fait divers inédit paru dans le canard local. Non, comme un potier utilise une argile, Krawiec utilise les humains les plus basiques. Ici (on est en octobre 1967, dans une ville du Massachussets), c'est Stewart Rome, le narrateur et personnage central. Comme le Billy d'Invulnérables, il a du mal à se faire des amis. C'est pourtant un collégien tout ce qu'il y a de plus normal ou presque : bonnes notes, père, assez froid, qui enquille les jobs intérimaires, mère aimante. Mais voilà "la plupart du temps, je me sentais, creux, mal, dévoré de l'intérieur". Du coup, ils traînent avec deux mauvais gosses, Doyle et Murphy, canailles et abrutis, autant par leur misère intellectuelle que par le shit, les acides qu'ils ingurgitent. C'est pourtant la seule compagnie de Stewie. Il y a eu Emmett, un jeune garçon noir, effronté, grande gueule. Sauf que notre narrateur l'a trahi assez vite. Et puis il y a Masha. La nouvelle de la classe. Une jolie Polonaise qui va chercher aide et amour chez Stewie. "Elle a été ma petite amie secrète, le premier et le seul véritable amour de ma vie". Le narrateur écrit cela bien des années plus tard. Des décennies ont passé. Comme une thérapie. Car le 14 octobre 1967, Masha a été sauvagement agressée, violée et Stewart Rome a été incapable d'intervenir, d'empêcher cela; Et depuis, bien sûr, ça le ronge comme l'océan grignote un littoral, doucement, sûrement, sans échappatoire.
Paria est une histoire sur une époque, oui. La fin de ces années 60 où règne un racisme qui n'a peut-être, et même surement, pas tant reculé. Un temps où le couteau, après West Side Story, règle les conflits bien avant les armes de poing. Et c'est aussi un roman sur la lâcheté. Cette couardise qui nous fait baisser la tête devant la bêtise de la masse. Cette couardise propre aux hommes en bandes. Finalement, Paria est une grande oeuvre de sociologie où l'on pèse ce poids du capital social : le père de Stewie développe un racisme basique, Doyle et Murphy un racisme de pure haine, même les filles s'y vautrent , elles qui affrontent une misogynie crasse, faite de mépris et de coups. On est loin de l'ambiance hippie de San Francisco ! Et là le lecteur se dit : "mais Krawiec écrit sur maintenant, sur ce XXIe siècle". Mince. Parce que le pauvre Emmett c'est une victime comme l'Amérique en fabrique encore en ce moment. Et Masha aussi.
Le talent de Richard Krawiec, c'est d'abord d'être un formidable conteur, de dire l'adolescence, ses émois, ses peurs, avec une sensibilité brute, mais il y a aussi tout ce décor qu'il pose, les personnages secondaires qu'il exécute avec 20 lignes et ce fond social, écrasant, incontournable. Paria est d'ailleurs assez court, pas trop court, mais on se surprend à se dire que quelques 100 pages en plus on les aurait volontiers prises. Un vrai grand roman. Et quelle préface d'Hervé Le Corre !

Paria (trad. Charles Recoursé), ed. Tusitala, 220 pages, 20 euros.
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