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The killer inside me

Littérature noire

Je suis le fleuve : welcome to my nightmare

La guerre du Vietnam a créé une authentique mythologie moderne, que l'on parle d'Ho Chi Minh, de la bataille du Têt, de la base de Da Nang, des afro-américains qui ne pouvaient échapper à la conscription, des Rolling Stones en bande son, de la came qui circulait, du napalm... il y a la matière à histoires, leçons, contes. Et puis il y a aussi les expériences, désastreuses, du commandement américain lors de ce conflit. On se souvient des prises d'amphétamine mises en scène par le très fort Echelle de Jacob d'Adryan Lyne. On connait moins bien le sujet de T. E. Grau, dans Je suis le fleuve, son premier roman. On le connaît moins, sans doute parce que ce fut bref et pas très glorieux.
D'ailleurs, Broussard, le personnage central, ne s'en est jamais remis. Cinq ans après la fin de son contrat au Vietnam, l'ancien soldat erre dans Bangkok, aux prises avec des cauchemars éveillés. Visions d'un chien géant qui le guette, sensation d'un fleuve qui l'aspire, cet enfant de Louisiane se soigne à coup de speedball, mâchant et remâchant ce qui a été sa dernière mission au Vietnam. Il se souvient de cette peur lâche qui l'a fait renvoyer de son unité. Mis aux arrêts, il y a ensuite eu ce regroupement avec quatre autres bidasses, direction le Laos dans des hélicos banalisés, sous les ordres de cet étrange commandant Chapel... Broussard rumine tout ça mais il ne guérit pas pour autant de sa schizophrénie. Il faut qu'une medium soit tout proche de clamser durant une cérémonie à la limite de l'exorcisme sauce thaïe pour qu'il comprenne (qu'il admette ?) enfin d'où vient cette cicatrice psychique.
Je suis le fleuve rappelle plus d'une fois le Charles Marlow de Joseph Conrad, dans Au coeur des ténèbres, qui a inspiré plus tard Apocalypse Now. Broussard est encore un gamin, peureux, sorti de son bayou, et il doit supporter une mission qu'il n'est pas prêt à encaisser. Mais qui le serait ? Ce serait spoiler que de parler de cette mission, mais elle a, elle aussi, quelque chose de profondément folle, démente, liée aux croyances bouddhistes du peuple vietnamien. Cette peur panique de Broussard, T. E. Grau la transcrit avec justesse et talent, les pages de son roman transpirent cet effroi. Et l'auteur sait trouver le bon rythme pour dévoiler, en parallèle, les dessous de cette fameuse opération secrète.  Le lecteur se trouve piégé, pour son plus grand plaisir, entre les tourments actuels de Broussard, des scènes de cauchemars, et cette jungle laotienne, avec ces insectes, ces pieds mouillés, ces Hmongs qui portent un étrange matériel... Je suis le fleuve prend à la gorge et fait ressentir cette sensation unique du soldat traumatisé, cassé, perdu. Ce premier roman est une belle réussite. La traduction tout autant.

Je suis le fleuve (I am the river, trad. Nicolas Richard), ed. Sonatine, 275 pages, 20 euros
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