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The killer inside me

Littérature noire

La constellation du chien : l'apocalypse de la grippe

(thekillerinsideme stoppe les chroniques sur l'actualité et se penche sur des classiques, ou pas, du roman noir. Des livres disponibles par ailleurs sur le site Lalibrairie.com par exemple, en version papier ou pour liseuses également. Malheureusement Les librairies indépendantes est en sommeil. L'idée est bien sûr de ne pas passer par Amazon, peu friand d'équité fiscale.)

En voilà un grand livre. Peut-être même un petit chef-d'oeuvre. On y va avec prudence, on marche sur des oeufs, mais La constellation du chien est d'une beauté suffocante, d'un lyrisme incroyable et en même temps d'une rare cruauté. Le tout magnifié par la voix de Peter Heller qui a attendu ses 43 ans avant d'écrire ce premier roman (sorti en 2012). Il est vrai qu'avant cela il avait eu le temps d'éprouver mille métiers, de bûcheron à livreur de pizzas ! C'est sans doute cette grosse expérience de la vie et des humains qui rend son histoire si touchante, si forte, reflétant dans chaque page une énergie de vie.
On est dans un futur proche. Hig et Bangley ont survécu à La fin de toute chose, une vaste épidémie de grippe, très meurtrière, suivie d'une autre saloperie, baptisée la maladie du sang. Bref, l'humanité est exsangue. Cela fait maintenant neuf ans etHig est un amoureux de sa forêt, un pêcheur de talent, un peu poète, qui a perdu sa femme dans l'épidémie. Heureusement il lui reste Jasper, son chien. Et il lui reste aussi Bangley, sorte de survivaliste cow boy, adepte du "tire d'abord, pose les questions après". Meurtrier  indispensable dans un monde sans règle. Les deux hommes vivent une amitié solide, paradoxale. Régulièrement, Hig fait décoller son Cessna pour surveiller les alentours, repérer les éventuels bons plans avec Jasper comme copilote. Là, il s'extraie de la violence de la Terre. Jusqu'au jour où, parti à la pêche, son chien meurt dans son sommeil. Une nouvelle partie de son monde s'effondre. Il décide quelques jours plus tard d'aller enfin vérifier un signal radio qu'il avait capté il y a trois ans au-dessus d'un aéroport supposé abandonné. Hig va découvrir une femme et son père, vivant comme deux ermites dans un canyon, avec bétail, cultures... et armes à feu.
"Je ne veux pas perdre le compte : ça fait neuf ans. La grippe a tué presque tout le monde, puis la  maladie du sang a pris le relais. Dans l'ensemble, ceux qui restent sont du genre Pas Gentils, c'est pour ça qu'on vit dans la plaine, pour ça que je patrouille tous les jours." Heller pose très vite le décor. Et fait de son aviateur-poète une sorte de double et le narrateur. Un homme foncièrement bon qui a dû forcer sa nature pour résister et survivre. Forcer sa nature, cela signifie accepter que les autres meurent pour que lui vivent. Tout simplement. Que ceux qui veulent lui prendre ses biens, sa nourriture, sa vie, ne reviennent jamais. Ce peut être Bangley qui tient le fusil. Ou lui si nécessaire. Mais sa part d'humanité n'est pas entamée et il continue de rendre visite à une communauté mennonite, infectée. Il leur apporte nourriture. Et sourire. C'est donc tout naturellement que Hig est brisé par la perte de son chien. Et ces pages là sont d'une grande tendresse, d'une tristesse délicate. La rencontre avec Cima, jeune femme, elle aussi, durement ébranlée, met encore la sensibilité de Hig à l'épreuve. On retient de La constellation du chien une histoire terriblement d'actualité ainsi qu'une contemplation réjouie de la Nature,  de tous les arbres du Montana, pins ponderosa, peupliers de Virginie, saules, tous les oiseaux, oies, bernaches, faucons crécerelles, martins-pêcheurs... un hymne écologique et une poésie virile, puissante. Combinée à un style qui permet au lecteur de rester constamment en éveil, un mot jeté là, un autre ici, une phrase de trois mots, une interpellation de Jasper, des dialogues sans guillemets, sans citer l'interlocuteur... tout concorde à rendre ce récit vivant au possible, sans que cela sonne artificiel, forcé.
Cette Constellation du chien ce sont ces étoiles que Hig observe, lui qui dort toutes les nuits à la belle étoile pour éviter d'être piégé dans une maison. Pour rêver mieux sans doute, rêver de lendemains moins sombres, moins violents. Parce que oui, certaines scènes sont dignes d'un western (le camion de Coca, Hig poursuivi par une bande de pillards...), contrepoint à la beauté de la Nature. cela parait nunuche dit comme ça. Mais Peter Heller lui, en revanche, le dit très bien. Et encore une fois, gros travail de Céline Leroy à la traduction (ce boulot sur l'aéronautique...)

La constellation du chien (The dog stars, trad. Céline Leroy), ed. Babel, 416 pages, 9, 70 euros
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B
je n’ai pas résisté... Désolé pour la foooote
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B
J'ai aussi beaucoup apprécié ce roman et lors de sa sortie, je n’ai pas résister à envoyer quelques questions par mail à l’auteur. L’interview est encore visible à cette adresse https://fr.feedbooks.com/interview/210<br /> <br /> Je lui avais alors posé la question de ses influences littéraires. Il avait répondu :<br /> <br /> « La littérature est une grande conversation, n’est-ce pas ? Ces trois écrivains ont eu beaucoup d’influence sur moi. Lorsque j’enseignais à l’université, j’avais inclus le roman Dalva de Jim Harrison dans un de mes cours de littérature américaine. Ses évocations de la nature sont magnifiques. J’aime Hemingway, bien sûr, pour la même raison, mais également pour l’économie pure et la puissance des mots. Et j’adore McCarthy, non seulement pour ses thèmes bibliques, mais également pour la musique de la langue, j’aime Faulkner pour la même raison, et également quelques nouvelles d’Eudora Welty. Les écrivains du Sud ont l’oreille lyrique. Je lis Borges, Neruda, Mutis, Vila-Matas, pour l’allégresse. Je lis beaucoup de poésie. La collection de poèmes « Four Quartets » de T.S. Eliot, toujours pour la musique. Les poètes antiques chinois de la dynastie Tang tels que Wang Wei, Tu Fu, Li Po, que j’aime depuis longtemps, pour leur simplicité, leur intimité avec la nature, la puissance de leurs traits."
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