Littérature noire
13 Mars 2020
2010 - 2015. De la révolution de Jasmin en Tunisie aux attentats du Bataclan. Avec La fabrique de la terreur, le dernier tombe de sa trilogie consacrée à trente ans de djihadisme dans l'hexagone, Frédéric Paulin se penche sur la dérive islamiste de la jeunesse française, il va à Lunel, comme à Toulouse, à Molenbeek, en passant par Raqqa. Encore une fois, le sujet est très casse-gueule mais l'auteur s'en tire avec brio, parvenant à tisser différents récits en un seul, autour du personnage de Laureline Fell, commissaire divisionnaire de la DCRI puis de la DGSI. Une sexagénaire acharnée, sérieuse, mais qui s'avoue aussi dépassée par les nouvelles technologies utilisées par les terroristes. La bonne idée de Paulin, celle qui développe depuis le premier tome, c'est d'associer Fell à Tedj Benlazar, ancien de la DGSE sur le terrain du terrorisme algérien. Ils vivent ensemble, elle avec sa pression quotidienne, lui, avec ses démons et notamment cette vision d'un loup qui tient la photo de sa fille entre ses crocs. Sa fille, Vanessa, journaliste free lance, qui couvre les révolutions arabes comme les réseaux islamistes en France. Et pour pimenter le tout, Vanessa est aussi mariée à un ancien journaliste, désormais enseignant... à Lunel. Quatre personnages, quatre fers au feu, pour tenter de couvrir les aspects du fondamentalisme, en Tunisie où se rend Vanessa, dans le sud de la France, du côté de Toulouse où va éclore Mohamed Merah. Mais ça c'est la vision disons occidentale du problème. Frédéric Paulin choisi d'observer la situation avec les yeux de ceux qui tombent dans l'idéologie fondamentaliste, d'Al Qaida à Daech. Il y a Simon, il y a Wassim. Leurs amis, leurs cousins. Plus ou moins décidés au djihad, plus ou moins violents. Paulin décortique comment la République peut ainsi enfanter des gamins qui veulent la détruire. Ce n'est pas un scoop : misère sociale, abandon de l'Etat, échec scolaire... cette fameuse fabrique de la terreur. Tout cela s'imbrique à merveille, entre fiction et éléments du réel, l'auteur trouvant l'équilibre juste pour que l'on n'ait pas le sentiment de lire les pages du Monde Diplo. Et personne ne sort indemne : des deux côtés, l'issue ne peut être que tragique, comme si cette violence ne pouvait épargner personne. Pas de héros, pas de martyrs. Que des larmes.
Parfois, c'est vrai, Paulin se montre un peu didactique ("le wahabbisme et le salafisme, ce n'est pas exactement la même chose") mais heureusement cela ne dure pas plus de dix lignes. Et à l'issue de ces 340 pages, le lecteur se dit que le renseignement français, soumis aux réformes, a énormément souffert de querelles internes, a pataugé face à une organisation autrement en avance, face aussi à des situations inédites. C'est aussi le grand mérite de ce troisième roman, de rendre tellement humain la barbarie qui a secoué le pays. Il ne s'agit pas d'excuser mais d'essayer de comprendre le cheminement psychologique, la perte de repères. Chez les flics, déboussolés, trop peu nombreux, comme chez les fous d'Allah, dont une grande partie, effectivement, n'était sans doute que des moutons partis à l'abattoir (désolé pour l'image peu végane monsieur Paulin...). La fabrique de la terreur raconte, s'appuie sur des archives, des témoignages. Et cela donne une saga d'une belle modernité. Et d'une très grande émotion. Trois tomes qui ont déjà marqué l'histoire du roman noir.
La fabrique de la terreur, ed. Agullo, 342 pages, 22 euros