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The killer inside me

Littérature noire

Bois mort : men of constant sorrow

Premier roman de la série Turner, sorti en 2006, Bois mort est traversé, comme beaucoup d'autres romans de James Sallis, par un hommage tendre et sincère à la musique du sud des Etats-Unis. Le titre original d'abord, Cypress grove, est un clin d'oeil à la formidable chanson de Skip James. On parle donc beaucoup de blues, de country, à travers la radio dans les voitures que l'on emprunte. Mais Sallis, musicien, évoque aussi le banjo avec une réelle précision, celle d'un connaisseur. Cela ne sonne jamais artificiel mais bien comme un élément profond du décor de ce petit patelin du Tennessee où Turner vient de débarquer.
Ancien soldat au Vietnam, ex-policier dans les rues de Memphis avant d'être condamné à trois puis huit ans de prison suite à un homicide derrière les barreaux, cet anti-héros a joué les thérapeutes sociaux, puis a décidé, en quelque sorte, de se retirer de la société. Le shérif du coin a pris connaissance de ses états de service de flic et vient le solliciter pour résoudre le meurtre d'un type empalé et ligoté comme dans une messe noire. Turner, le nouveau venu, va donc partir à la rencontre des différents habitants. Et découvrir que la victime, psychologiquement fragile, était un fan de films de série Z.
On est là dans du pur Sallis, même si on est dans autre chose que la série Lew Griffin. Du pur Sallis parce que Turner est aussi un homme qui porte ses douleurs, ses déceptions, ses failles. Des croix qui n'empêche pas cette bienveillance avec les Hommes, là où d'autres cultiveraient la rancune ou la haine. Et les anecdotes bouleversantes de se multiplier, cet aide soignant qui enlève une fille dans le coma pour s'en occuper chez lui, ce dépressif qui passe une soirée entière au resto avec Turner avant de commettre l'irréparable, cette famille d'accueil qui laisse les enfants dans leurs immondices... Malgré les milles et unes histoires déchirantes que content Turner, il y a de l'espoir dans l'humanité, de l'entraide entre citoyens, des moments de partage simple, autour d'une bière, d'un épis de maïs, parfois juste un silence mais qui en dit long sur la complicité, l'évidence des rapports. Cette petite cité du Tennessee a d'ailleurs quelque chose de la future Willnot. Le lecteur s'y sent presque aussi bien que Turner.
Et ce que l'on aime, que l'on adore une bonne fois pour toutes, c'est la plume de James Sallis, souvent caustique : "l'officier Billy Nabors était au volant. Son haleine aurait pu décoller le papier peint des murs et carboniser les plumes de la queue d'un poulet"... "de vieux flics, qui m'avaient sciemment ignoré jusque là, exhalant comme souvent des odeurs de pieds, de bourbon ou de bière rance, d'after-shave et de la pute de la veille, me saluaient de la tête au vestiaire". Parfois c'est juste beau, "des nuages se traînaient à travers le ciel à des allures de glacier..." Et dans tous les cas, c'est d'une incroyable finesse, dans ce style incomparable, plutôt rare dans le genre, à la fois très littéraire et humble, riche en références mais jamais écrasant. On comprend, à chaque nouvelle lecture, l'aura qui entoure cet auteur de 76 ans, dont on attend avec impatience (cette année ?) la publication en France de Sarah Jane, dernier roman sorti en octobre.

Bois mort (Cypress grove, trad. Stéphanie Estournet et Sean Sego), ed. La Série Noire, 281 pages, 17, 50 euros
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