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The killer inside me

Littérature noire

Le big boss : misère sociale et humour british

Le big boss c'est Shale Mansel. Un baron anglais de la drogue. Un vrai baron, c'est-à-dire avec la classe british qui s'impose. Aristocrate de la drogue. Qui habite dans un presbytère, qu'il décore avec des peintures pré-raphaelites, qui roule en Jaguar, qui boit du gin-crème de menthe. Mais comment dire ? Shale Mansel reste un vrai connard ! Oui. Qui voudrait montrer grand coeur mais fait preuve d'un léger racisme de classe, méprise les femmes qu'il peut comparer à des ballets chiottes et n'hésite pas à humilier ses subordonnés ("s'il voulait l'Europe qu'il parte y vivre. Il était assez laid pour ça"). Et Shale est très contrarié le jour où la petite Mandy, auto-rebatisée Noon, à peine 13 ans, se fait descendre en plein jour lors d'un réglement de compte entre dealers. Parce que Noon, justement, faisait le mule pour un revendeur de Mansel et sous son cadavre, la police a retrouvé un sacré paquet de cailloux de crack. Si le caïd est très soucieux de ce fait divers, il en est de même pour le commissaire Lane, chef de la police. Ce grand catholique ne comprend pas que la société ait pu si mal tourner, dans sa ville. Son adjoint Desmond Iles, avec l'inspecteur, Colin Harpur, vont très vite se tourner vers Mansel évidemment. Iles, développant sa théorie du chaos, imagine une sorte de pacte avec la pègre. Lane, lui, préfèrerait une mission d'infiltration. L'enquête balistique sur la fusillade qui a coûté la vie à Noon révèle qu'elle a été tuée par des balles ascendantes, comme si un tueur embusqué en avait fait sa cible prioritaire...
Le big boss est le treizième roman de la série Iles & Hapur écrite par le Gallois Bill James. Paru en 1996 au Royaume-Uni et en 2016 en France ! C'est pour l'heure le dernier traduit dans cette série qui comporte une trentaine d'histoires ! Car Bill James (de son vrai nom Allan James Tucker), qui fêtera, on lui souhaite, ses 91 ans cet été, se révèle un auteur incroyablement prolifique, à la tête d'une soixantaine de romans. Dans son livre d'entretiens avec Philippe Blanchet, Du polar, François Guérif évoque cet auteur "passé à travers les mailles du filet... c'est John Harvey, avec qui j'étais devenu ami, qui m'en a parlé le premier... encore aujourd'hui on n'a pas rattrapé le rythme, Bill James n'arrête pas d'écrire... un des auteurs préférés de Claude Chabrol."
Et on comprend pourquoi. Truffé de dialogues divins, où l'insulte est déclamée avec tact et élégance, Le big boss navigue constamment entre la vision de ce duo de policiers et celle de Shale Mansel. Des univers qui ne semblent pas si éloignés tant les luttes de pouvoir, sounoises mais intenses, s'y jouent à coups de fleurets mouchetés. Iles veut faire tomber le chef Lane et abuse de sa prestance, de ses bons mots, frôlant, au moins pour le lecteur, le ridicule. Ou du moins le ridicule british. C'est délicieux comme le meilleur des pudding. Outre une narration et une intrigue d'une incroyable maestria, Bill James offre des portraits à la hache en quatre lignes : "il avait un visage mince, avec une expression de grande courtoisie, et une peau très lisse, il ne ressemblait pas à un policier. Plutôt à un chirurgien spécialisé dans l'amputation" ou "Vine avait dans les 25 ans, était très costaud, avec des cheveux blonds coupés court. Il ressemblait à ces types qui arrachent des rangées de sièges dans les stades de foot pour taper sur les autres."
Mais attention, si Le big boss initie plus d'un sourire, il demeure très sombre, s'attachant à évoquer en quelques traits, la vie dans un quartier pauvre, depuis longtemps abandonné aux trafics en tous genres. Le roman s'ouvre d'ailleurs sur la vie, courte, de Noon, la dégringolade sociale de son environnement. Ce n'est pas juste de l'humour.
Hautement recommandé. Et superbe traduction.

Le big boss (Top Banana, trad. Danièle Bondil), 334 pages, 10 euros
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