Littérature noire
17 Avril 2020
Pour l'efficacité redoutable d'un récit, on se référera encore au George Pelecanos des débuts. Son quatrième roman, Un nommé Peter Karras (sorti en 2011) inaugure son fameux quartet sur Washington DC et tant dans le rythme, les dialogues, la description d'une époque et d'une ville, le futur co-scénariste de The Wire (entre autres) fait feu de tout bois.
L'histoire est relativement simple pourtant. Celle d'une bande de copains de quartier, en 1933, qui se castagnent avec une bande de blacks, qui jouent au base ball, qui prennent des roustes par des pères buveurs et/ou caractériels. Il y a Peter Karras, descendant d'une famille de Sparte, un beau gosse, sûr de lui. Son pote Joey Recevo, Italien, le suit comme son ombre. Jimmy Boyle, miséreux, en chaussures d'occasion, complète la triplette. Les années passant, Karras va partir à la guerre et récolter son lot de médailles. Revenu au civil, il s'acoquine, en compagnie de Joey, à un caïd qui donne dans le racket. Mais, un : Joey est trop intelligent pour ça. Deux, la moitié des personnes rackettées sont des connaissances de son père. Un soir qu'il ne remplit pas sa mission, le chef du gang veut lui donner une leçon et demande à Joey de déposer son ami d'enfance à un lieu précis. Joey s'exécute et Peter se fera fracasser à coups de battes de base ball, y laissant un genou qui le fera boîter le reste de sa vie... Trois ans plus tard, en 1949, un tueur s'attaque aux prostituées de Washington. Un jeune homme de Pennsylvanie débarque dans la capitale pour retrouver sa soeur enlevée. Peter Karras, lui, fait la cuisine dans le snack de Nick. Joey est toujours voyou. Jimmy Boyle est un ventripotent flic qui végète. La bande de Joey veut mettre à l'amende le patron de Peter et tout va se nouer ou plutôt se dénouer...
George Pelecanos avance avec une rare minutie ses pions. Laissant progresser son personnage principal vers le rachat de sa vie, lui qui n'a jamais rien fait de vraiment bien, tout comme il va chercher sa vengeance, l'arracher à cette existence passable. Peter Karras, fumeur invétéré, est traversé par ce qu'il doit à ses origines, son tempérament, l'envie de construire une famille, son irrépressible besoin de draguer (belle et triste histoire avec Vera), son sens de l'amitié, son goût pour la musique aussi. C'est un peu cliché mais le roman est très musical, on y cause de Count Basie, Charlie Parker, Miles Davis... et plutôt avec sincérité. C'est ce qui fait le cachet d'Un nommé Peter Karras. C'est ce qui fait aussi que Pelecanos écrivait déjà des scénarios avant de passer à l'industrie de la télévision. Il détaille les vêtements avec une rare minutie, un éclairage de rue, une coupe de cheveux, la marque d'une voiture... c'est extrêmement visuel.
Et ici il a un talent évident pour installer une ambiance. Par exemple, dans le snack de Nick. De la façon de couper les tomates, au parfum du café, en passant par la viande grillée avec les oignons, la femme de Kosta qui hurle au-dessus, le lecteur sentirait presque le graillon sur ses vêtements ! Ces passages là sont une pure réussite.
Polar de haut du panier, Un nommé Peter Karras contenait donc tout ce qui allait faire le succès de l'auteur. Il abusera peut-être même de certaines formules reproduites par la suite jusqu'à l'épuisement. Mais question efficacité, il faut reconnaître que l'histoire de ce jeune boiteux aux cheveux blancs est un modèle du genre.
Un nommé Peter Karras (The big blowdown, trad. Jean Esch), ed. Points, 447 pages, 9 euros