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The killer inside me

Littérature noire

Cruel est le ciel : Tokyo et sa mafia du BTP

Polar nippon jusqu'au bout des ongles, Cruel est le ciel est à des années lumière du roman policier occidental. Ici pas de poursuite effrénée, évidemment pas de calibrage intempestif, ni coups de poings viriles (juste un gentil uraken-uchi sur le nez !), et pas plus de policier dépressif noyant son désespoir/amertume/spleen/chagrin (barrer la mention inutile) dans un alcool de fortune. C'est donc inhabituel par définition et cela met en perspective les codes du genre. Même si, il ne faut pas exagérer, il y a un crime, une enquête, des pistes, des rivalités.
Cruel est le ciel est donc le deuxième tome, après Rouge est la nuit, des tourments policiers de Reiko Himekawa, la jeune lieutenante de la brigade criminelle de Tokyo. Toujours en concurrence avec son collègue haï, Kusaka, elle est appelée sur une étrange scène de crime : une main gauche sectionnée découverte dans un sac en plastique, au fin fond du garage d'un charpentier. On découvre en même temps, le van du propriétaire des lieux en bordure de la rivière Tama. Kosuke, l'apprenti, reconnait la main de son patron qui était aussi son tuteur et un père de substitution depuis que son propre paternel s'était suicidé sur un chantier. Reiko met ainsi à jour une étrange combine d'usurier pour faire signer des assurances-vie à des ouvriers surendettés. Des suicides déguisés en accidents du travail pour sauver la famille et laver l'honneur. Et derrière cela, un monde de l'immobilier piloté par un gang de yakuzas. La partie s'annonce serrée pour Reiko qui voit ses pulsions de meurtre resurgir, des bouffées de colère qu'elle n'a jamais enfoui depuis son viol.
Il y a là tout ce que l'on peut apprécier dans le polar nippon. Pas de recherche effrénée de style, un classicisme élagué au service de l'histoire, pas d'adverbes à foison, de métaphores pesantes, de contemplation. Oui cela lève une part humaine à cette enquête mais c'est ce qui ressort de cette littérature en général, ce qui apaise aussi, une forme de pudeur, une certaine distance avec les émotions. Et Reiko en est un symbole, n'arrivant pas à déclarer sa flamme à son subordonné, peinant à parler avec son père et contenant avec difficulté ses désirs de vengeance. Loin, on se répète, du flic français qui s'épanche au comptoir après cinq Casanis... Pour les sentiments, la sensualité, on repassera donc. Mais côté social, Cruel est le ciel livre plus que sa part. Entre des flics qui dorment au commissariat parce que leur foyer est trop éloigné, des procédures d'interrogatoires qui doivent obtenir l'assentiment du détenu pour préserver ses droits, des sbires de yakuzas qui abusent des femmes, ces mêmes yakuzas qui nettoient un quartier pour leur projet immobilier... le paysage est plombé, c'est un Japon corseté, peu libre, toujours chevillé à des rites anciens. Alors oui, comme dans les films asiatiques, il y a toujours un personnage farfelu, ou un peu lourd, qui essaye de détendre l'atmosphère. Mais tout cela reste noir. Jusqu'à ce dénouement mené de main de maître, dans un festival de rhésus A... Détonnant.

Cruel est le ciel, (Soul cage, trad. Alice Hureau, Dominique Sylvain), ed. Atelier Akatombo, 352 pages 18 euros
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S
J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et un blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers (lien sur pseudo) Au plaisir.
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