25 Mai 2020
Formidable décennie 71-81 qui a vu se succéder des piles de romans de fiction fantastique. Les écrivains américains, de la côte est essentiellement, s'en sont donné à coeur joie, que ce soit William Peter Blatty avec L'Exorciste (1971), Peter Benchley avec Les dents de la mer (1974), Stephen King bien sûr avec Shining (1977). Autant de romans passés, avec succès, à l'écran (à signaler, Alien, d'Alan Dean Foster, tiré du scénario, lui, et fort recommandable). Et puis Brian de Palma en 1978 réalise The Fury, avec le grand Kirk Douglas, John Cassavetes. Une petite merveille d'action, de supers pouvoirs, d'adolescents piégés par les officines américaines. Un classique, quoi. Problème : en France, il faut attendre 2005 pour voir Denoël sortir enfin le livre, oeuvre de John Farris ! Titre désormais épuisé mais que Gallmeister, puisque Peter, le fils, est déjà dans le catalogue, a choisi de rééditer cet hiver.
On retrouve là tout ce qui fascinait tellement les auteurs et les cinéastes de l'époque : les pouvoirs du cerveau. Gillian à 14 ans, fille d'une riche dynastie new yorkaise, elle sent que son corps change, que des mutations sont en cours sans en comprendre vraiment les enjeux. Elle a des vertiges, des nausées et à quelques jours de Noël, assaillie de pensées confuses, elle s'évanouit sur la patinoire de Central Park. Mais son rayonnement a été intercepté par un médium aux services du MORG, un bureau officieux chargé de maîtriser les spirites. Au même moment, Peter Sandzas, père d'un autre jeune spirite, Robin, qui lui a été enlevé par le MORG, retrouve la piste de Gillian. Les deux ados, nés la même année, le même jour, la même seconde, sont des jumeaux astraux et communiquent à leur façon. Peter a besoin de Gillian pour retrouver Robin mais le MORG a des moyens colossaux.
Roman fantastique, Furie est d'une densité incroyable, développant avec gourmandise des personnages secondaires comme la volcanique Gwyn (ah cette scène avec l'huile de cannabis) ou le dément Childermass. Au côté surréel du pouvoir de ses enfants, John Farris ajoute un zeste de paranoia, avec un Peter qui ne sait jamais très bien quand il est suivi tant il y a d'agents à ses trousses, et un souçon de technologies, avec des micros, des caméras, qui truffent tous les appartements qui le méritent. Alors oui, Furie est vraiment oldie par certains aspects mais il est aussi bien rock'n'roll, osé, avec des vrais scènes de sexe du jeune Robin et un langage ordurier de Childermass, traitant une collaboratrice de "vieille tarlouze". C'est pimenté et en terme d'actions, Farris récite sa partition avec maestria : une trépidante scène de poursuite en bagnoles sur les quais de New-York, une autre de flingage effroyable chez Esther, quelques mâchoires fracturées, des innocents qui se vident de leur sang sous la seule force des spirites... Furie ne plaisante pas. Et, en point d'orgue, un final de très grande classe ! Crénom, les romans d'entertainment de cette époque envoyaient de sacrées bûches, se permettaient des délires incroyables, avec une forme d'insouciance et d'irrévérence rafraîchissantes.
Furie (The fury, trad. Gilles Goulet), ed. Gallmeister, 500 pages, 24, 80 euros