14 Mai 2020
Pas vernie Vanda, sortie quelques jours seulement avant le confinement. Et pourtant quel roman encore une fois de Marion Brunet, qui semble alterner entre roman noir (L'été circulaire) et roman young adult (Sans foi ni loi) avec une régularité de métronome et une intensité jamais prise en défaut.
Si Vanda appartient à la littérature noire, cela n'est en rien un polar. Pourtant le tissu social, le réel diront certains, est l'âme de cette histoire déchirante, d'une force dévastatrice. Une nouvelle fois, en peu de pages, Brunet créé un maeström d'émotions, ça va vite, sans se précipiter, ça s'enchaîne, ça tourne comme un engrenage dégueulasse.
Vanda c'est cette trentenaire que tout le monde connaît. Pas punk à chiens mais vivant à la frontière de la marge, déconneuse, aimant la fête, les bons vieux concerts de rock'n'roll, la bière, tirer sur quelques joints. Vanda, c'est cette fille tatouée, attirante, qui a lâché ses études de Beaux Arts pour bosser. Enfin... bosser. De CDD en CDD, elle se retrouve à nettoyer les sols et les chambres d'un HP de Marseille, ville brûlante où elle a débarqué il y a une dizaine d'années, en direct de sa Bretagne natale. Mais l'argent, ce n'est pas ce après quoi elle court, après tout, elle se contente de vivre dans un cabanon certes humide, mais posé sur une plage. Pas grave. Elle, elle a Noé, son fils de six ans, un amour de gamin. "Elle n'avait envie de se lier avec personne. Les mères de famille qui tartinaient leurs enfants de crème solaire et bouquinaient sous leurs chapeaux de paille ne lui inspiraient aucune sympathie. Pour dire la vérité, elle prenait le monde entier en grippe, le monde entier aurait pu disparaître, seul son fils et elle comptaient." Quand Simon, un ex, revient à Marseille, pour l'enterrement de sa mère, Vanda lui avoue, par simple hônneté, que Noé est son fils. Simon, ancien bringueur, tentant de vivre une conformité parisienne, s'imagine maintenant récupérer un peu de cet enfant, revenir à Marseille... Vanda est prête à mordre.
Outre la formidable énergie de ce roman, avec ce personnage flamboyant de Vanda, colérique et affectueuse, charnelle, intelligente, c'est vraiment une époque que Marion Brunet détaille, pose sur la feuille. La vie de mère seule, leurs galères de jobs pourris, de voiture en lambeaux, d'amours difficiles. C'est la réalité, pas d'un monde de misère mais presque, pas de survie mais pas loin. C'est en tout cas l'existence d'une femme incroyablement libre, refusant les codes de la société, ne se laissant imposer aucune contrainte. Et tant pis si cela coûte un peu de confort. Que peut-il y avoir de mieux que de se coucher avec son fils face au soleil couchant, sur la plage ? C'est cela aussi que dit Vanda en filigrane : le monde laisse-t-il encore un peu de place à tous ? Peut-on vivre sans Netflix, Amazon, une paire de New Balance et des mojitos ? A priori oui. Roman de crise donc, accentué par cette scène de manif sanglante lors d'un samedi Gilets Jaunes. Vanda s'y rend pour protester avec ses collègues infirmiers, soignants, contre les réductions de budget dans le secteur de la santé... On n'est pas loin de Ken Loach.
Vanda, ed. Albin Michel, 236 pages, 18 euros