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The killer inside me

Littérature noire

Voir, entendre et se taire : le niveau animal de la vie criminelle

A 34 ans, Juan José Martinez d'Aubuisson, anthropoloque né au Salvador, est l'un des rares fins connaisseurs des furieux gangs de son pays et tout particulièrement de la Mara Salvatrucha. Cette pandilla criminale, comme les autorités la décrivent, se situent entre le gang de bikers, pour ses codes, sa solidarité, et le cartel mexicain, pour la violence qu'elle exerce. Mais en 2020, la MS n'est plus un scoop, de nombreux articles ont narré les règlements de comptes avec les rivaux du Barrio 18 (une trentaine de morts cet hiver dans une seule et même prison du Honduras !), de même les tatouages de ses membres ont défrayé la chronique au milieu des années 2000. Avec Voir, entendre et se taire, l'auteur propose une plongée, non sans risques, d'un an au coeur d'un "chapitre" de la MS, les Guanacos Criminales, de janvier à décembre 2010.
C'est passionnant, révoltant, écoeurant, dans le sens où il n'y a pas de happy end, pas de héros, bien au contraire, douze mois ponctués d'exactions hallucinantes, saupoudrés de malheurs, de larmes. Juan José Martinez D'Aubuisson pose d'abord les bases de ces gangs, nés dans le sud de Los Angeles aux virages des années 60 avant de se faire virer des USA vingt ans plus tard. La culture gang importée des Etats-Unis va fleurir sur ce terreau d'extrême misère. L'anthropologue raconte ceux qui ont de quoi manger et ceux qui se passeront de repas, les déjeuners où les membres du gang se jettent sur la nourriture et sur la bouteille de soda comme des crevards. Personne ne bosse, tout le monde ou presque vit sur le dos du gang. On ne voit pas les trafics : l'auteur est accepté comme témoin mais soit il n'en dit rien, soit il juge que c'est préférable pour sa sécurité de ne pas en parler ou de ne pas aller voir. Toujours est-il que le sel de la MS, c'est sa guerre avec le Barrio 18 pour la conquête de quartiers. Assassinat d'un membre du B18 devant ses proches, représailles avec l'incendie d'un bus rempli de civils, mitraillage d'un centre de jeunes... le fait divers à ce point-là révulse, les gangs se transformant en meutes, en animaux. L'anthropologue recueille avec sobriété la parole des survivants :"Quand Carlotta a senti les premières brûlures lui manger le corps et attaquer ses filles, elle s'est mise à taper dans la vitre avec son bras, encore et encore, avec l'acharnement d'une mère, d'une mère qui voit ses enfants brûler sous ses yeux. Elle a frappé jusqu'à se casser le coude... Puis elle a continué à frapper. Lorsque le verre a enfn commencé à céder, son bras était en mille morceaux. Quand elle a enfin brisé entièrement la vitre à force de la cogner avec un sac d'os brisés, son corps était enveloppé par les flammes. Dehors, ses bourreaux attendaient, pistolet à la main, ceux qui s'échappaient."
Il n'y a pas de voyeurisme dans la démarche de Juan José Martinez D'Aubuisson mais bien un travail scientifique sur cette société parfaitement structurée, avec ses chefs en prison, ses chefs en place, ses successeurs et ses jeunes pousses. Voir, entendre et se taire permet aussi de constater - si besoin était - que là où l'Etat est absent, le crime le plus extrême pousse comme le chiendent. Trés loin d'un quelconque romantisme de gangs ou de voyous, ce court (un peu trop finalement) livre explique comment on peut mourir à 12, 13 ou 14 ans au Salvador.
A signaler un autre ouvrage très récent sur le sujet, avec le même auteur et son frère : El nino de Hollywood, aux éditions Métailié.

Voir, entendre et se taire (Ver, oir y callar, trad. Bernard Cohen), ed. Marabout/so lonely, 188 pages, 15,90 euros
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