Littérature noire
3 Juin 2020
Courageuse entreprise de vouloir relancer, après quelques années de sommeil, Alibi, magazine consacré à la littérature noire. Jouant de malchance, Marc Fernandez, l'un des créateurs, avait prévu une sortie ad hoc pendant Quais du Polar 2020 mais, las, le Covid a bouleversé ses plans et la sortie. C'est donc cette semaine qu'il revient en kiosque. Et il y a du bon. Et un peu de moins bon bien sûr.
Ce qui est bon, sans aucune objectivité, c'est de voir ainsi quatre pages sur Big Jim Thompson. Même si on peut se dire quatre pages c'est peu (en fait c'est trois, puisqu'il y a une grande image) mais c'est déjà bien pour un auteur mort qui, de plus, n'a que peu d'actualité. Sa vie, son oeuvre vue par un libraire (bonjour Benoît) et un de ses traducteurs. Au passage on regrette que l'ami Yan Lespoux ait été ainsi rétrogradé du statut d'universitaire, pour lequel on sait qu'il a longtemps trimé, à celui de journaliste, titre pour lequel plus personne ne trime aujourd'hui... On aime aussi l'interview de Frédéric Paulin par Franck Berteau. L'auteur rennais revient sur la conclusion de sa trilogie parue chez Agullo et c'est franchement un excellent client, qui ne la ramène jamais mais s'interroge inlassablement sur son monde. Dans les très bonnes surprises de ce numéro 1, il y a cette série de photos sur les ravages de la crystal meth aux Etats-Unis par Federico Borella : un reportage remarquable, affreusement beau, de très haut niveau. Un autre reportage très intéressant, celui sur le Gang d'Auber et l'histoire incroyable de leur braquage au Japon.
Mais voilà, c'est un peu le travers des revues consacrées au polar (Sang Froid c'était, ou c'est ?, un peu ça également) : on s'attache aux faits divers plus qu'aux auteurs, on parle plus des acteurs de la Justice (avocat, juge, etc...) que des livres finalement. Pas que ce soit pénible à lire, les plumes sont efficaces, mais c'est trop : au final, il y a, proportionnellement, peu d'interviews de romanciers et c'est regrettable. Le juge Gilbert Thiel est bien sympa par exemple, mais il aurait aussi pu parler de son travail en Corse, qui s'est souvent borné à une déclaration type "la Corse est la région la plus criminogène d'Europe". Un juge très critique avec les médias, excepté quand ceux-ci lui ouvrent grandes les pages de leurs rédactions.
Petit rectificatif tout de même quand on écrit qu'il n'y assez de place donnée aux livres dans ce numéro, ce n'est pas tout à fait exact puisqu'il y a une vingtaine de pages de chroniques de romans, essais, documents, BD... mais le problème c'est que, visiblement, tout est bon, "habile... pépite... excellent... diamant noir... indispensable" Difficile de croire que tout ce qui est publié vaut les 20 balles dépensés. On sait bien qu'il y a aussi une volonté de ne pas se froisser avec d'éventuels annonceurs mais dans les chroniques des magazines, le lecteur aime quand ça dézingue, quand ça pile au mortier, que ça soulève avec finesse quelques erreurs de style, des lourdeurs. Honnêtement, quand on lisait (il y a longtemps) les magazines de rock c'était, dans un plaisir sadique, ce que l'on recherchait avant tout. Pas simple.
Au final, un numéro bien ficelé, avec une sacrée mise en page, beaucoup d'entrées, quelques sujets que l'on affectionne moins (mais bon qui lit en entier L'Express par exemple ?... qui l'achète déjà ?) et le sentiment d'une sacrée dose de travail.
Alibi, 162 pages, 17 euros.