Littérature noire
12 Juin 2020
Bim ! Deuxième roman de Chris Brookmyre en douze mois. Métailé semble vouloir rattraper les années de disette pour les amateurs du romancier glaswegien. Après Sombre avec moi, place aux Ombres de la toile, traduction toute personnelle de Want you gone. Mais il est vrai qu'il s'agit ici d'un roman noir autour d'internet, il y est beaucoup question d'informatique et d'un piratage XXL. Avec toujours, Jack Parlabane, journaliste quadra, à la limite de la légalité.
Tout se déroule à Londres, pour une fois, où Sam Morpeth est encore au lycée, tandis que sa mère passe ses nuis derrière les barreaux pour une misérable affaire de stupéfiants. L'ado, privée de père depuis plusieurs années, et d'aides sociales depuis quelques semaines, a désormais, seule, la charge de sa jeune soeur trisomique, Lily. Une galère quotidienne dont Sam s'extrait en rejoignant, sur internet, et sous le pseudo de Buzzkill, le groupe des Uninvited, gang de hackers redoutés. Ce jour-là, Sam, en colère à la lecture des bénéfices odieux d'une banque écossaise, monte une énorme opération de piratage de leur nouveau site internet, étalant les bénéfices des actionnaires, les blanchiments... l'image de la glorieuse institution est fracasséé, le scandale bancaire, comme le hacking font la Une. Et Jack Parlabane, en panne d'employeur, parvient à décrocher quelques infos, via Buzzkill. Une aubaine qui le fait intégrer la rédaction d'un très en vue journal en ligne. Sauf que quelques jours plus tard, Sam est victime d'un chantage : tout son stratagème contre la banque, son identité, seront dévoilés si elle ne s'introduit pas dans les locaux de Synergis pour voler un prototype industriel et les plans qui le concernent. Du hacking, doublé d'un cambriolage. Coincée, elle fait à son tour chanter Parlabane pour obtenir son aide. Le reporter va d'abord faire briller sa carte de presse, obtenir un rendez-vous avec le charismatique pdg de Synergis pour une nterview et une visite du site. Le tout équipé de caméras, histoire de bien enregistrer les locaux et pourquoi pas un ou deux codes secrets tapés à l'entrée des labos ultra sécurisés. Super idée. Sauf qu'à la fin de l'interview, tous les visiteurs sont passés au détecteur de métaux... pas de bol.
Brookmyre fait du Brookmyre. Une jeune héroïne black (comme Angélique de Xavia, son personnage principal, entre autres, du fort recommandable Petite bombe noire), un Parlabane dans la méga panade, une société bon chic bon genre, des requins du business et une intrigue à tiroirs multiples qui ferait passer le montage d'une commode Ikéa pour un puzzle à dix pièces. Mais si c'est complexe, cela ne manque pas de rythme et de tension. L'auteur livre d'aileurs une scène de cambriolage sur 50 pages, de grande envergure, façon Mission Impossible, avec sueur assurée, palpitations et coup de théâtre. Polar techno-financier, sur fond de revanche, Les ombres de la toile tient hardiment la distance sur ses 500 pages, grâce aussi à la belle histoire de ces deux soeurs, livrées à elle-même, laissées, il est vrai, sur le bord de la route.
Du bel ouvrage, intelligent, souvent drôle, parfois un brin technique (mais Brokmyre s'en amuse plus qu'il n'étale des connaissances) mais prenant, intense. Avec cette patte écossaise, ce côté je m'en foutiste, branleur quoi, de Jack Parlabane, toujours aussi irrésistible.
Les ombres de la toile (Want you gone, trad. David Fauquemberg), ed. Métailié, 533 pages, 22, 50 euros.