Littérature noire
21 Juillet 2020
Avec Banditi, son deuxième polar, Antoine Albertini se confronte à deux écueils : faire vivre l'idée d'un détective privé en Corse en 2020 et ne pas tomber dans les clichés de la violence.
Sur le premier, il y parvient à moitié. S'il est vrai que la profession de privé exerce encore, notamment auprès des compagnies d'assurance, on a du mal à croire vraiment que son personnage, sans véritable pédigree professionel, se retrouve ainsi en première ligne d'une affaire criminelle. Par exemple, lorsque les émissaires italiens souhaitent l'interroger après avoir découvert le corps d'un homme dont, finalement, il ignore tout. Certes, cet ex-flic bastiais, jamais nommé - bonne trouvaille - est pris dans un engrenage mais c'est à un tel point que le lecteur sort un peu du cadre : interrogatoire, enlèvement, chantage, fusillade... rien n'est épargné à ce buveur de Colomba. OK, il s'agit de perpétuer la tradition US du privé, mais finalement, c'est moins Sam Spade ou Lew Archer, que le Milo, cher à Crumley, avec ses affres alcooliques et ses problèmes de coeur. Connaissant ses classiques, Albertini promène un peu son bonhomme du nord au sud de l'île et même un temps en Italie, où il nous fait part de ses différentes libations dans les gargottes de Bologne. Tout le passage sur l'Italie et surtout le fil des années de plomb nous rappelle à quel point l'auteur a été marqué par Les noirs et les rouges d'Alberto Garlini.
L'autre obstacle c'est celui de la violence. Banditi nous fait le coup de la fiche criminelle d'emblée, cinq pages sur le parrain mort par une piqûre de guêpe. D'accord. Puis rebelote avec Leca. Il est ainsi beaucoup question de la violence clandestine, des guerres fratricides entre natios et de ceux qui ont réussi à passer entre les gouttes. Du coup, ça fait un peu dossier sur cinquante années de violences en Corse, le genre de supplément d'été pour un news magazine. Pas clichés, mais un peu didactique tout de même.
Banditi sonne donc un peu moins fort que Malamorte, le premier opus. Le roman met tout de même près de 80 pages à s'enclencher et heureusement le dernier quart se révèle très fort, avec une scène de défouraillage jouissive dans les montagnes. Le bon point c'est cette intrigue autour des ordures : là, il y avait sans doute quelque chose à mettre plus en avant, parce que le dénouement est vraiment bon, réaliste, politique, mafieux comme on l'aime. Et sans doute tellement proche de la réalité que connait la Corse en ce moment-même.
On peut aussi regretter que ce privé ne profite jamais des splendeurs de son île. C'est le choix d'Albertini d'éviter tout le beau de la Corse. Mais on se souvient justement que Jean-Claude Izzo était parvenu à rendre la noirceur de Marseille, tout comme son coté solaire.
Pour l'erreur, dans la même page, du César Orsoni qui devient César Orsini, on veut bien passer : les patronymes, à la fin, c'est toujours pénible à tricoter...
Deux mots sur l'intrigue de Banditi tout de même : notre privé, ex-flic, se voit confier par Fabien, un ami, ancien natio, la recherche d'un vieil oncle disparu de son village. Dans sa quête, il tombe sur le cadavre d'une ancienne barbouze italienne. Son pote Fabien se fait alors descendre, un chef natio lui demande de retrouver la femme de celui-ci...
Banditi, ed. JC Lattès, 382 pages, 20 euros