Littérature noire
7 Juillet 2020
James Lee Burke a tout de même 60 balais quand il sort Cadillac Juke-Box en 1996, la neuvième des enquêtes de Dave Robicheaux, aventures qu'il publie à un rythme quasi métronomique d'une par an. L'ancien ouvrier pétrolier et chauffeur routier, entre autres jobs, a longtemps rongé son frein avant d'être correctement édité. Maintenant que sa série trouve son public, il se donne donc à fond. 1996 c'est l'âge d'or d'un Robicheaux toujours avec Bootsie, Alafair encore à la maison, un Clete Purcell plus que jamais en forme, sans oublier sa partenaire Helen Soileau... bref, tout le monde est là, jusqu'au raton laveur boîteux, Tripod. Et comme dans ses meilleurs moments, Belle-Mèche est aux prises avec des cas de conscience XXL. D'abord celui d'Aaron Crown : un cul-terreux blanc, à la limite de l'analphabétisme, condamné à 40 ans de taule pour l'assassinat d'un meneur black d'une association pour les droits civiques et qui, 28 ans après les faits, réclame Robicheaux dans sa cellule d'Angola pour dire que ce crime est une erreur. Dans le même temps Buford LaRose, descendant d'une grande famille de Lousiane, se présente au poste de gouverneur sous l'étiquette démocrate, avec tout ce qu'il faut de discours sur la transparence, la démocratie, la lutte contre les inégalités. Il a d'ailleurs fait partie de ceux qui ont "chargé" Aaron Crowne lors du meurtre. Et voilà qu'une équipe de télévision souhaite justement faire un docu sur ce drôle de condamné, peut-être victime d'une erreur judiciaire. Pas de chance, le scénariste du documentaire se fait couper en deux dans une chambre d'hôtel de La Nouvelle Orléans. Puis c'est un Mexicain qui essaye de raccourcir Robicheaux à la machette. De quoi susciter la curiosité du shérif adjoint de New Iberia. Parce qu'autour de la candidature de LaRose rôde quelques caïds locaux. Et la femme de LaRose, Karyn, est une ex de Dave, qui a plutôt mal encaissée leur séparation.
Toujours la question de l'innocence, du péché originel avec James Lee Burke et puis aussi cette culpabilité qu'il se trimballe à travers, entre autres, ces douloureux souvenirs du VietNam. Cadillac Juke-Box empeste la rivière Atchfalaya, le bayou Teche, le lac Ponchartrain, c'est humide, poisseux, le lecteur se trimballe dans des barques à fond plat ou des bateaux de la police, au milieu des canaux à l'ombre de saules pleureurs, des pacaniers, des chênes, des cyprès... Burke fait ressentir cette terrible destinée humaine, pétrie de tellement de vices et de si peu d'amour. La vie elle-même de Dave Robicheaux ressemble au labeur de Sisyphe, à toujours repousser cette boule du Mal. "J'ouvris le courrier de la matinée dans mon bureau, fis sortir des toilettes pour hommes une femme au cerveau dérangé et la raccompagnai, ramassai un type à l'officine des paris hippiques de l'Etat près de la grand-route pour non-respect de sa conditionnelle, aidai à récupérer un tracteur volé, passai mon heure de déjeuner et deux heures supplémentaires à attendre de témoigner au tribunal, pour apprendre finalement qu'on avait accordé à l'accusé un sursis et revins au bureau avec la migraine et le sentiment d'avoir consacré la majeure partie de ma journée à des futilités, comme quelqu'un qui se limerait les ongles en pleine épidémie de peste."
Ces humains, exception faite des hommes politiques, l'auteur les décrit sans haine, sans grossièreté. Que ce soit Dock Green, Jody Hatcher ou Sans Dec Dolowitz, il leur garde toujours des circonstances atténuantes, des gens de la rue qui n'ont pas su prendre le bon chemin. Y compris le terrifiant Mookie Zerrang a une histoire à raconter derrière sa folie meurtrière.
Et au coeur de tout ça, il y a donc le juke-box offert à Belle-Mèche par un de ses vieux amis truands. Un juke-box qui joue Joli Blon, chanson destinée à devenir le titre d'un prohain roman de James Le Burke. Bref, 1996, un sacré millésime.
Cadillac Juke-Box (trad. Freddy Michalski), ed. Rivages, 437 pages, 9 euros